La Transfiguration. Théophane le Crétois, icône du XVIe siècle (SentierIcona.it).

La Transfiguration

Luc CastonguayLuc Castonguay | 28 juin 2021

Les disciples, Pierre, Jean et Jacques voient leur maître transformé. Jésus se manifeste à eux comme Fils de Dieu, « comme la présence du « Je suis » (YHWH) révélé à Moïse dans le « buisson ardent » et à Élie dans le « silence d’un souffle subtil » […] ils (les apôtres) voient la lumière incréée dans la présence de celui qui marche avec eux [1]. » La Fête de cet évènement, la Transfiguration de Jésus, est célébrée dans la chrétienté le 6 août.

Un peu d’histoire

Notons que la scène se déroule sur une montagne, jamais nommée dans les textes des évangélistes Matthieu, Marc et Luc qui parlent évasivement d’une haute montagne mais que la tradition identifie comme le mont Thabor qui fut un haut lieu de plusieurs évènements bibliques.

Cette représentation de la Transfiguration est attribuée à Théophane le Grec, iconographe byzantin de la fin du XIVe début du XVe siècle. Parmi ses icônes les plus célèbres, notons la Vierge de la Déisis de l’église de l’Annonciation au Kremlin de Moscou et celle de la Transfiguration. Il travailla entre autres à Constantinople et à Moscou et développa l’École de peinture d’icônes de Novgorod. Il naquit vers 1350 et mourut vers 1410. Il fut le maître de l’iconographe russe Andrei Roublev (1365-1430) connu pour son icône de La Trinité. On dit qu’il « influença les techniques et l’art des artistes locaux et, en s’imprégnant pendant plus de trente ans de la spiritualité slave, il donna naissance à une iconographie purement russe [2] ».

Un peu de technique

L’icône est une image hors du temps et de l’espace. Comme l’a noté Michel Quenot, elle ouvre « une fenêtre sur l’absolu [3] ». Celle de la Transfiguration est une représentation complexe. Sur une même planche, trois moments et/ou lieux d’une même scène y sont décrits. Cette technique est courante en iconographie et nous l’avons déjà remarqué dans les icônes de la Nativité de Jésus et de celle de Marie.

La scène principale, c’est-à-dire la transfiguration de Jésus citée dans les trois évangiles synoptiques (Mt 17,2-8 ; Mc 8,2-8 ; Lc 9,29-36) est le propos même de l’icône. On y voit Jésus dans un vêtement d’une blancheur fulgurante. Nous avons vu que selon les canons iconographiques, généralement la tunique de Jésus est toujours dans des teintes de rouge et son manteau dans des tons de bleu-vert. Mais le Christ est représenté ici, exactement comme dans l’icône de la Résurrection « la Descente aux enfers », éblouissant dans la lumière de sa gloire et la mandorle qui l’entoure renforce le symbolisme de sa majesté.

Dans la montagne de gauche, le Grec a représenté le début du récit, la montée de Jésus avec Pierre, Jean et Jacques sur le mont Thabor (Mt 17,2 ; Mc 8,2 ; Lc 8,28). Dans la montagne de droite, l’iconographe représente, au moment de leur descente (Mt 17,9 ; Mc 8,9 ; Lc 9,37), la fin du récit où il leur demande de rester muets sur ce qu’ils ont vu. Ce qui fait que dans son ensemble l’icône raconte la péricope au complet. Michel Quenot note que : « Le vrai iconographe est en effet théologien par l’image [4] » c’est-à-dire qu’il interprète les textes sacrés en les mettant en image.

Pierre, Jacques et Jean

Au bas de l’icône les apôtres sont représentés stupéfiés, extasiés, face contre terre. Les matines du jour disent : « Ne pouvant supporter cette vision éblouissante, ils tombent contre terre, incapables de lever les yeux. » Les trois rayons qui partent de Jésus vers Pierre, Jean, Jacques symbolisent la présence et l’action de la Trinité dans cette scène.

L’Higoumène Cyrille rappelle que « dans les Églises d’Orient, cette fête est particulièrement célébrée par les moines et les moniales qui consacrent leur vie à la recherche contemplative de cette lumière [5]. »

Un peu de théologie

Jésus se révèle dans toute sa gloire au mont Thabor, il s’y rend accompagné de trois de ses apôtres. Comme au moment de son baptême, on assiste à une théophanie et une deuxième affirmation de sa filiation divine avec le Père « Celui-ci est mon fils bien-aimé… » (Mt 4,17 ; 17,5) qui ramène aussi à l’oracle du prophète Isaïe (42,1). Les prophéties de l’Ancien Testament sont revues ou relues dans le Nouveau Testament à la lumière des faits et gestes de la vie de Jésus. N’a-t-il pas dit d’ailleurs : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir. » (Mt 5,17) Comme pour le confirmer se présentent à droite de Jésus dans cette scène Moïse, la Loi, et à sa gauche, Élie, le prophète. « Ils rendent hommage au fondateur de la Nouvelle Alliance […] Favorisés de la révélation de Dieu au Sinaï, Ex 33,20 ; 1 R 19,9-13, ils sont témoins de la révélation anticipée du Fils de l’homme [6]. » La Transfiguration est un évènement eschatologique, elle présage la fin des temps et le retour glorieux du Christ.

Une méditation sur l’icône de la Transfiguration peut nous conduire à une rencontre avec Dieu.  Si « les apôtres ont vu parce qu’ils étaient présents au rendez-vous, disponibles dans le bon lieu, au bon moment [7] » il n’en tient qu’à nous de nous arrêter et de nous mettre nous aussi disponible à une telle rencontre.

Conclusion

Nous voici arrivés à la fin de l’étude des icônes des douze grandes fêtes liturgiques orthodoxes et j’aimerais remercier ceux et celles qui m’ont suivi dans cette série d’articles. J’espère vous avoir apporté un peu d’intérêt et d’information pour mieux apprécier et comprendre ce monde lumineux et merveilleux qu’est l’iconographie.

Nous avons vu que huit des fêtes liturgiques majeures orthodoxes marquent les moments les plus importants de la vie de Jésus sur terre tandis que les quatre autres rappellent ceux de Marie, celle qui a enfanté Dieu : la Théotokos.

Le calendrier liturgique orthodoxe commence le 1er septembre. La première grande fête qui commémore la Nativité de Marie est célébrée le 8 septembre et la dernière, celle de la Dormition de Marie est célébrée le 16 août. Le fait de placer des fêtes mariales pour commencer et terminer l’année liturgique confirme que Marie jouit d’une grande vénération dans la tradition chrétienne.

Certaines des fêtes sont à date fixe, mais d’autres reliées au cycle pascal sont mobiles. La plupart sont célébrées par les catholiques et les orthodoxes aux mêmes dates. Par contre, certaines Églises orthodoxes se servent du calendrier julien tandis que d’autres, comme l’Église catholique, se servent du calendrier grégorien pour leur liturgie. De plus deux fêtes sont célébrées sur une période de huit jours, nous parlons donc de l’octave de Pâques, la Fête des fêtes, et de celle de la Nativité. Il est à noter qu’aucune de ces dates sont historiques, mais qu’elles sont symboliques ou pourrait-on dire, théologiques.

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] Jean-Yves Leloup, L’icône, Une école du regard, Paris, Le Pommier, 2012, p. 56.
[2] Art et Histoire des Icônes en Russie du Xe siècle à nos jours, [https://www.histoire-russie.fr/icone/theoph_roubl.html].
[3] Michel Quenot, L’Icône, Paris, Cerf, 1987.
[4] M. Quenot, L’Icône, p. 208.
[5] Cyrille Bradette Higoumène, De l’image à la ressemblance, Wentworth, Monastère orthodoxe de la Protection de la Mère de Dieu, 2012, p. 75.
[6] La Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1961, p. 1312.
[7] Michel Saint-Onge et Mireille Ethier, Parole pour nos yeux, Sainte-Foy, Anne Sigier, 1992, p. 63.

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