(photo © Netflix)

L’horreur et l’Église : Midnight Mass

Sébastien DoaneSébastien Doane | 31 octobre 2021

L’interprétation littérale de la Bible tue. C’est ce qu’expose bien une minisérie d’horreur pour laquelle chaque épisode porte le titre d’un livre biblique.

Il y a quelques décennies, le fameux film The Exorcist a montré à quel point le mysterium catholique peut être un terreau fertile pour un film d’horreur. Netflix propose depuis peu une minisérie appelée Midnight Mass qui réactualise le genre. Une différence majeure entre les deux productions est la posture du prêtre par rapport au mal. Si dans l’Exorciste, le prêtre lutte contre le démon, dans Midnight Mass, c’est le prêtre qui est le véhicule du mal qui se propage.

Ce revirement de posture est en cohérence avec l’actualité récente du rôle de l’Église dans les violences des pensionnats autochtones et dans la pédocriminalité des prêtres selon le rapport Sauvé en France (3200 agresseurs depuis 1950). Midnight Mass ne met pas en scène des viols d’enfants ou une colonisation violente. Elle montre une forme de dérive reliée à l’abus spirituel qui survient lorsqu’une figure d’autorité religieuse use de son pouvoir dans une communauté sans garde-fou. Fait intéressant, le prêtre n’est pas le pire représentant d’une l’autorité ecclésiale. Bev Keane, une femme laïque, engagée dans la paroisse use aussi de l’isolement, de la manipulation et du mensonge. Elle impose une norme patriarcale sans critique où le prêtre doit être obéi sous peine de mort en citant Deutéronome 17,12. Il est évident pour les lecteurs critiques de la Bible que l’application direct d’un texte se rapportant aux prêtres opérant des sacrifices dans un temple juif ne peut pas être copier/coller sur un prêtre catholique du vingtième siècle. Pourtant, le texte est cité comme s’il parlait de la situation actuelle sans critique possible.

Les citations bibliques sont d’ailleurs presque aussi nombreuses que les meurtres. Chaque fois, la Bible est déclamée par cœur et comprise comme un reflet littéral du scénario apocalyptique en train de se déployer. Je vous laisse deviner comment est illustré la célèbre parole : « Qui mange mon corps et bois mon sang a la vie éternelle ».

Cette télésérie aussi fascinante que sordide n’est pas nécessairement antichrétienne ou antireligieuse. Elle propose d’ailleurs un univers où il est tout naturel de prier, de chanter des cantiques, de citer la Bible et d’aller à la messe. Par contre, on y retrouve une critique claire des dérives sectaires. De plus, les réflexions des personnages athées sur la mort inéluctable invite à la réflexion et aux regards critiques devant les affirmations de foi trop simplistes. Elles développent une conception très matérielle de l’humain qui prend conscience de l’arbitraire des frontières entre sa subjectivité, qui se termine avec la mort, et la vie biologique, qui continue par les divers organismes composant son corps. Ainsi, entre les ténèbres et le sang, plusieurs dialogues profonds permettent la réflexion sur des enjeux très importants.

Alors que le gouvernement du Québec annonce une diminution de la place de l’enseignement des phénomènes religieux dans le cursus scolaire, cette série montre à quel point les connaissances religieuses permettent de mieux apprécier la culture. Les acteurs sont convaincants et l’esthétique du film est superbe, mais pour comprendre l’intrigue de Midnight Mass et goûter à la subtilité de ses références, il faut une bonne base de connaissances religieuses.

Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).

rosette

Bible et culture

Zone franche de dialogue entre la Bible et la culture (arts, cinéma, littérature, télévision, campagne publicitaire, etc.). Cette rubrique vous propose réflexions ou commentaires à la croisée de ces deux univers.