Sainte Xenia (photo © Orthodox Christianity)

Des icônes, modernes et anciennes, dans différentes traditions chrétiennes

Luc CastonguayLuc Castonguay | 25 octobre 2021

Nous abordons ici une nouvelle série d’articles traitant de cinq différentes façons d’approcher l’iconographie chrétienne : russe byzantine, éthiopienne, copte, roumaine et nord-américaine. Nous les étudierons selon la technique, la culture et la tradition qui leur sont propres. Et, en analysant une icône représentative de la tradition présentée, j’essaierai de mettre en exergue les différences, les similitudes et les spécificités de celle-ci.

Chaque communauté, qu’elle soit religieuse, sociale ou politique, a toujours voulu se raconter à elle-même son histoire pour savoir qui elle est, d’où elle vient, où elle se trouve et vers quelle destination elle va. C’est pourquoi nous devons regarder l’icône en considérant que l’histoire qu’elle raconte ne cherche pas à être complète : elle « vit de sa concentration sur l’essentiel et par conséquent, comme nous l’ont démontré les classiques [les icônes], de la réduction du temps et de l’espace du déroulement [1]. »

1. Les icônes orthodoxes russes byzantines

J’ai choisi de débuter la série par la tradition byzantine qui est la plus ancienne. Elle est née à Byzance au Ve siècle. Elle a su conserver à travers les siècles, par ses canons, le cœur et la technique des icônes séculaires c’est-à-dire la fidélité à lire et à écrire le sacré.

L’icône qui nous aidera à saisir les particularités de cette tradition est celle de sainte Xenia de Saint-Pétersbourg dont la fête se célèbre le 24 janvier. Cette femme vécut dans le milieu mondain de Moscou jusqu’à l’âge de 26 ans. À la mort de son époux, elle se désintéresse de toute vanité et d’attachement terrestre. Cette folle-en-Christ vécut étrangère et sans abri. Elle mourut au début du XIXe siècle et « sa tombe fut immédiatement l’objet de vénération croissante et devint un véritable lieu de pèlerinage. […]  Miracles, guérisons, prophéties, apparitions de la sainte n’ont pas cessé depuis près de deux siècles [2] ». Sa vénération a d’abord été officialisée par l’Église orthodoxe russe hors frontières en 1978 et plus tard elle fut canonisée par le Patriarcat de Moscou en 1987. Il s’agit donc d’une icône moderne mais qui s’inscrit dans la tradition canonique des icônes traditionnelles byzantines.

Cette icône est très classique par sa sobriété, sa palette de couleur, de tons d’ocre, de rouge, de vert et par son exécution technique. Seul les auréoles sont dorées, comme dans les icônes des premiers siècles. Ceci a pour effet de focaliser l’attention sur le personnage. Disons que nous sommes ici très loin des icônes dites décadentes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles dans lesquelles le décor était surchargé et l’or surutilisé.

Il est facile de reconnaître par la composition de la mise en scène, les éclaircissements du visage, des mains ainsi que des vêtements, que la technique de la montée en lumière est bien celle des icônes byzantines. Très importante dans le langage iconographique, elle émane de l’intérieur des personnages : « il n’y a jamais de source de lumière sur les icônes car la lumière est leur sujet, on n’éclaire pas le soleil [3]. »

« L’honneur rendu à l’image va à son prototype et celui qui vénère l’icône vénère la personne qui s’y trouve représentée [4]. » Il faut noter que vénération (baisers, prosternations, cierges etc.) ne veux pas dire adoration qui ne revient qu’à Dieu. L’icône n’est pas un portrait mais une préfiguration. Le mouvement y est restreint, d’où la pose figée. Nous avons vu que Xénia était un personnage humble et simple et ici le nœud de l’action se déroule dans le regard de la sainte vers Jésus. C’est dans les regards que se nouent les liens : ceux de l’intérieur de l’icône et ceux de l’extérieur établis entre l’orant et l’image de la personne sainte représentée. Ceci est un trait caractéristique du langage iconographique. « C’est dans le traitement du regard qu’apparaît dans toute sa force la créativité la plus haute de l’art religieux, celle qui, avec le feu descendu du ciel, illumine de l’intérieur la forme humaine du saint [5]. »

On peut aussi remarquer que les volutes reproduites sur l’architecture derrière la sainte ont les mêmes formes de celles de plusieurs icônes anciennes de l’école de Novgorod.

L’icône est un dogme selon le concile de Nicée II (787). Dans l’Église byzantine-orthodoxe, elle est investie d’une théologie para-sacramentelle et fait partie intégrante de la liturgie. Elle a une valeur pédagogique et mystique et c’est pourquoi le symbolisme de sa composition doit se rapprocher le plus possible du personnage et/ou de l’histoire qu’elle raconte. Pour l’Église d’Orient, l’icône exécutée selon ses saintes règles transmises par la tradition de l’Église, les canons, devient une présence réelle du signifié. « C’est donc une personne et non une substance que l’icône fait surgir [6]. »

En résumé, nous pouvons dire que cette icône moderne, de par son sujet, sa mise en scène et sa composition technique, entretient bien plusieurs caractéristiques de l’iconographie byzantine traditionnelle.

Le maître André Rublev (c. 1360-1430) fut « le fondateur d’une peinture russe indépendante [7] » vers la fin du XIVe siècle. Il fut l’élève de Théophane le grec, peintre de la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople « et de nombreux peintres russes se servirent de cette représentation qu’ils copiaient les uns chez les autres. » C’est ainsi qu’est née une tradition dans la tradition de se référer aux icônes des anciens maîtres. Il faut rappeler que cet art fait appel à la technique et à la tradition dans l’ascèse et la prière plutôt qu’à l’imagination et à l’intuition comme le font la plupart des autres maîtrises artistiques.  

L’icône est une mise en scène imaginée d’une mise en intrigue de l’évangile. « Image et parole pourrait être, ou devrait être la sauvegarde l’une de l’autre. […] On insiste beaucoup sur le soutien mutuel entre l’image et le Livre [8]. » Nous sommes dans une théologie du symbole.

Bien entendu nous n’avons donné ici qu’une description très sommaire de ce qu’est la tradition iconographique byzantine. Le sujet est vaste, complexe et parfois nébuleux comme tout ce qui touche les sujets religieux. L’art iconographique, dans toutes ses traditions et à travers son évolution, se situe aux confins de l’art, de l’histoire, de la théologie et du mysticisme. À mon humble avis, pour s’en approcher, mieux vaut la méditer que d’essayer de la comprendre dans les profondeurs de sa genèse et de sa diffusion, car nous ne pouvons de toute façon qu’effleurer le contenu de son symbolisme car elle est divine et sacramentelle.

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] François Vouga et Carmen Burkhalter, L’évangile d’une femme, Une relecture de l’évangile de Marc, Montréal. Novalis, 2021, p. 46.
[2] Le Synaxaire, Vie des saints de l’Église orthodoxe, Tome 1 Septembre, Octobre, Novembre, Thessalonique, To Perivoli Tis Panaghias, 1987, p. 98.
[3] Paul Evdokimov, L’art de l’icône, Paris, Desclée de Brouwer, 1970, p. 160.
[4] Olivier Clément, l’Église orthodoxe, Paris, PUF (coll, Que sais-je ? 949), p. 102.
[5] Eugène Troubetzkoï, Trois études sur l’icône, Paris, O.E.I.L., 1986, p. 27.
[6] Ibid., p. 101.
[7] E. Troubetzkoï, Trois …, p.105.
[8] François Boespflug, Le décret de Nicée II sur les icônes et la théologie française contemporaine.

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