Icône écrite de la main de Luc Castonguay (photos © Luc Castonguay).

1. La mère de Dieu, porte du ciel

Luc CastonguayLuc Castonguay | 24 octobre 2022

Nous débutons avec cet article une nouvelle série qui portera sur des icônes dites miraculeuses. Il faudrait d’abord définir ce que l’Église entend par miracle. Disons pour simplifier les choses, comme l’historien Patrick Sbalchiero, que les miracles sont des signes divins plus ou moins discrets. Ce sont des témoins de la présence de Dieu : des signes visibles de l’Invisible [1].

Les miracles ont d’hier à aujourd’hui fait couler beaucoup d’encre. Même si nous ne savons pas si ces évènements inexplicables sont faits d’histoire ou faits de légende, nous pouvons certainement affirmer qu’ils sont faits de foi et de confiance envers le saint thaumaturge vénéré et, en ce qui concerne notre sujet, son eikona, son image.

L’icône est « un acte théurgique par lequel il est témoigné sous une forme terrestre de la révélation supraterrestre, sous une forme corporelle de la vie spirituelle [2] ». Elle est donc propice à transmettre des messages, des signes de l’Invisible. Elle est, par définition théologique, une fenêtre sur l’Invisible.

Les articles de cette série porteront sur cinq icônes auxquelles on associe des prodiges. Nous commençons donc par la fabuleuse histoire de l’icône myrrhovlite de la Mère de Dieu Porte du Ciel qui, depuis quelques décennies, est mieux connue chez nous comme la Vierge de Montréal.

Vierge de Montréal

« Réjouis-toi, Gardienne du portail très-gracieuse qui ouvres aux fidèles les portes du paradis. [3] »
(refrain de l’Acathiste)

Des copies multiples

« Dans la tradition iconographique orientale, on recopie constamment, d’âge en âge, les icônes-types [4]. » Celle que nous présentons ici est une copie d’une icône dont l’histoire remonte à la querelle des images (l’iconoclasme de 726 à 843). Le prototype aurait été peint au VIIIe ou IXe siècle. La tradition veut qu’une veuve dévote aurait conservé cette icône dans sa chapelle privée à l’abri des iconoclastes. Mais elle fut dénoncée et un soldat venu pour détruire l’icône lui infligea un coup d’épée et la joue de la Vierge ainsi tailladée se mit à saigner. Le soldat prit peur et s’enfuit. L’icône momentanément sauvée fut mise à la mer pour échapper au massacre d’où elle dériva jusqu’au mont Athos. Des moines de la Sainte Montagne voyant, pendant plusieurs jours, une colonne de feu allant de la mer jusqu’au ciel, descendirent à la grève et y trouvèrent l’icône dressée sur l’eau.

C’est ainsi qu’elle aurait été recueillie au monastère d’Iviron d’où son autre appellation en Orient : l’icône de la Mère de Dieu des Ibères. Les Ibères étant ici des moines Géorgiens établis dans ce monastère du mont Athos. Ceux-ci, voulant bien faire, auraient placé l’icône à l’intérieur de leur église. Mais le lendemain, ils la retrouvèrent au-dessus du portail de la porte. Ils la remirent une deuxième fois à l’intérieur des murs, mais le même phénomène se répéta et il en fut ainsi, dit-on, pendant plusieurs jours. Les moines finirent par comprendre que l’icône voulait d’elle-même choisir sa place. C’est de cette légende qu’elle doit sa désignation de Mère de Dieu de la Porte ou la Portaïtissa et elle est fêté au mont Athos le 2 janvier.

Devenue célèbre pour ses prodiges, on en fit plusieurs copies à travers les siècles. Une copie de cette icône fut transportée à Moscou le 13 octobre 1648. Elle a gardé l’entrée de la Place Rouge et du Kremlin et était vénérée comme protectrice de Moscou. Les habitants et les voyageurs avaient coutume de se recueillir devant elle. Malheureusement la chapelle qui l’abritait fut détruite par Staline en 1931 [5]. Elle est l’une des icônes les plus vénérées de Russie. La fête de sa translation est fixée, dans l’Église russe, au 13 octobre. 

L’icône arrive à Montréal

Il existe plusieurs versions du récit relatant comment une copie de cette icône se retrouva à Montréal (Québec). Les épisodes diffèrent quelque peu, mais en général sur plusieurs points l’histoire reste la même. L’une d’elles raconte que vers 1920 un moine d’Iviron, nommé Nectarius, fit une copie de l’icône et quelques décennies plus tard (vers 1980) celle-ci fut confiée à un étranger, José Muñoz, professeur d’histoire à l’Université de Montréal, en visite au monastère pour étudier les icônes. Celui-ci avait développé pendant son séjour une vénération et une attraction toute spéciale à la Mère de Dieu de la Porte. Peu de temps après son retour au Québec, on dit que l’icône, dont il était maintenant le protecteur, se mit à suinter, des épaules de Marie et des mains de Jésus, une huile miraculeuse très parfumée.

Le Père Egon Sendler (hiéromoine de l’Église catholique de rite byzantin, qui a été membre de la Compagnie de Jésus, peintre d’icônes, historien d’art réputé et membre de la mission catholique en Russie) raconte dans son livre sur les icônes mariales que « de nos jours, une icône de la Vierge d’Iviron attire à Montréal, au Canada, de nombreux chrétiens catholiques et orthodoxes. Elle produit des signes qui ne peuvent pas être expliqués comme étant des phénomènes naturels. […] Nombreux sont les témoignages de ceux qui ont ressenti le contact bienfaisant de cette huile. Ce sont souvent non pas des guérisons spectaculaires qui s’opèrent, mais plutôt des soulagements dans de multiples difficultés de la vie de notre temps [6]. » Les fidèles purent longtemps vénérer cette icône dans la cathédrale orthodoxe de Montréal. Cette icône miraculeuse devint extrêmement célèbre. Son dépositaire, José Muñoz qui se fit moine orthodoxe, voyagea dans de nombreux pays un peu partout à travers le monde pour faire connaître et vénérer l’icône Marie Porte du Ciel. Tristement, il fut assassiné et martyrisé à Athènes le 31 octobre 1997 et l’icône a depuis ce temps encore une fois disparu.

Mais l’histoire continue et, dit-on, une autre « copie de l’icône de Montréal commença toutefois à exsuder miraculeusement de la myrrhe à Honolulu, Hawaii, de façon régulière depuis 2007. En juin 2008, cette copie de l’icône des Ibères a été reconnue comme miraculeuse et digne de vénération par l’Église orthodoxe russe hors frontières, et a reçu la bénédiction de voyager dans différentes églises et monastères. […] Depuis juin 2008, cette icône a visité plus de 1000 églises de toutes les juridictions canoniques en Amérique du Nord, et a été vénérée par un million de personnes à travers les États-Unis. De nombreux miracles et guérisons ont été rapportés, comme pour l’icône de Montréal [7]. »

Par l’étude de son histoire, nous sommes forcés de conclure que cette icône a développé, depuis sa toute première infortune en mer, une passion pour les voyages. En plus de son caractère thaumaturgique, nous pourrions qualifier l’icône de la Vierge de Montréal d’œcuménique puisqu’elle se sent chez elle aussi bien dans la chrétienté de la Vieille Europe que dans celle du Nouveau Monde sans faire de discriminations. La fête de Marie Mère de Dieu Porte du Ciel de Montréal est commémorée le 11 novembre [8].

Pour comprendre l’icône

Maintenant pour en faire une courte lecture iconographique, disons que l’icône de la Vierge de la Porte est de type Hodigitria, ce qui signifie en grec ancien Celle qui montre la voie. Peinte en buste, la Vierge désigne de sa main droite son fils qui est le chemin à suivre. La Theotokos (Mère de Dieu) porte comme toujours un maphorion (manteau) dans les teintes de pourpre, couleur réservée à la royauté. Celui-ci et sa tunique sont richement décorés de bordures d’or. Elle porte ses trois étoiles symbolisant sa virginité avant, pendant et après la naissance de Jésus. Son visage est grave et on y remarque facilement la balafre infligée par son agresseur iconoclaste d’où le sang s’écoule.

Jésus enfant, assis sur son bras gauche, est vêtu d’une tunique d’une blancheur immaculée et d’un manteau resplendissant d’or. Il faut noter que l’or est le symbole de la lumière divine et est souvent considéré comme la peau des rois. De sa main droite, il bénit et, dans sa main gauche il tient le rouleau de la loi. D’ailleurs, plus tard, il dira : « Je ne suis pas venu pour abolir la loi mais l’accomplir. » (Matthieu 5,17)

La Mère de Dieu Porte du Ciel est le modèle parfait de l’icône « surgie des origines chrétiennes et des siècles de persécutions, enrichie par la difficile recherche dogmatique des conciles, purifiée par les épreuves de l’iconoclasme, l’icône fait partie du grand courant de la tradition, c’est-à-dire de la vie intérieure de l’Église, prolongement de l’Incarnation de Dieu [9]. »

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] Maria Donadeo, icônes de la Mère de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 1984.
[2] Egon Sendler, L’icône, image de l’invisible, Paris, Desclée de Brouwer, 1981.
[3] « L’icône myrrhovlite de la Mère de Dieu « Portaïtissa » d’Iviron », article sur orthdoxievco.net.
[4] Lucien Roy, Une icône de la Mère de Dieu, Notre-Dame de la Porte, Sillery, Inter Renouveau, 1985.
[5] Marie Porte du Ciel, [https://schola-sainte-cecile.com/tag/marie-porte-du-ciel/].
[6] Egon Sendler, Les icônes byzantines de la Mère de Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1992.
[7] Marie Porte du Ciel, [https://schola-sainte-cecile.com/tag/marie-porte-du-ciel/].
[8] Selon certaines sources, la date de cette célébration est le 24 novembre.
[9] Egon Sendler, L’icône, image de l’invisible, Paris, Desclée de Brouwer, 1981.

rosette

Bible et culture

Zone franche de dialogue entre la Bible et la culture (arts, cinéma, littérature, télévision, campagne publicitaire, etc.). Cette rubrique vous propose réflexions ou commentaires à la croisée de ces deux univers.

José Muñoz-Cortéz

José Muñoz-Cortéz (1948-1997)

Professeur d’art à l’Université de Montréal, José Muñoz s’intéresse à l’iconographie. En 1982, il se rend au mont Athos dans le but de visiter les communautés monastiques spécialisées dans l’écriture des icônes. Lors d’une visite dans l’une de ces communautés, il se sent fortement interpellé par une icône de la Mère de Dieu, une copie de l’ancienne icône d’Iveron (Notre-Dame porte du ciel). Lorsqu’il demande s’il est possible d’en faire l’acquisition, on lui dit qu’elle n’est pas à vendre. Mais au moment où il s’apprête à quitter la communauté, l’abbé lui remet l’icône en lui disant que c’est la volonté de la Mère de Dieu que l’icône l’accompagne en Amérique. Quelques semaines après son retour, il remarque que l’icône dégage une odeur parfumée dont le parfum est celui de la myrrhe. À partir de ce moment, il devient le gardien de l’icône qui l’accompagne dans ses voyages en Amérique, en Europe et en Australie.