Icône écrite par Marie-Cécile Windish-Laroche, iconographe de Montréal (image reproduite avec autorisation).

4. Icône de la Vierge de Kazan

Luc CastonguayLuc Castonguay | 24 avril 2023

Nous en sommes à notre quatrième article d’une série sur une sélection d’icônes miraculeuses. Avant d’aborder l’icône de Kazan, voici quelques mots de l’historien Patrick Sbalchiero qui décrit l’histoire du miracle comme l’histoire de l’irrationnel. Il précise :

Selon nous, l’essentiel dans cette affaire tient de la distinction entre merveilleux et surnaturel extraordinaire. Le merveilleux, c’est ce qui échappe à l’intelligence, quelque chose d’extérieur à ce monde, mais aussi hors du domaine religieux […] L’extraordinaire c’est ce qui déborde ou dépasse les lois régissant le monde sensible […] L’extraordinaire, c’est l’irruption dans le réel d’un mode d’être situé hors de portée de l’espace et du temps. L’expression « extraordinaire chrétien » englobe l’ensemble des phénomènes physiques ou psychiques, manifestés dans la Bible et au long de l’histoire du christianisme, dont l’origine est ou serait étrangère au monde visible, et dont le mode de manifestation échappe ou échapperait à la démarche scientifique [1].

Nous verrons dans le texte qui suit, portant sur l’icône de Notre-Dame de Kazan, que les apparitions mariales et les miracles s’y rapportant font partie, pour certains de la petite mais pour d’autres de la grande histoire, de l’extraordinaire religieux des Églises chrétiennes. De plus « l’icône est un objet de culte emblématique de la chrétienté orthodoxe. Principale médiatrice entre le fidèle et le sacré (Dieu, un saint, un événement), elle est un élément essentiel des pratiques religieuses et, sans elle, la structuration de l’espace sacré de l’église orthodoxe, la célébration des offices et des cérémonies solennelles sont impensables. Certaines icônes cependant font l’objet d’une vénération particulière grâce au pouvoir spécifique dont elles seraient investies [2] » et c’est particulièrement le cas de l’icône de Notre-Dame de Kazan.

Théologie

L’iconographie est un art sacré, c’est-à-dire une discipline spirituelle qui se transmet d’un maître à son élève et dont les divers éléments qui composent son écriture doivent être conformes aux règles que la Tradition du christianisme orthodoxe lui impose. La tradition iconographique veut que ce soit saint Luc, patron des médecins et des artistes peintres et des sculpteurs, qui aurait peint le premier des icônes de Marie, celle qui fut proclamée Theotokos, Mère de Dieu en grec ancien, par le concile d’Éphèse en 431 [3]. Marie fut vénérée de façon particulière dès le tout début du christianisme.

L’icône de la Mère de Dieu […] représente le premier humain qui réalisa le but de l’incarnation […] L’Église orthodoxe affirme le lien de la Vierge avec l’humanité déchue […] Sa perfection personnelle, l’ultime degré de sainteté acquis par Elle expliquent cette vénération tout à fait exceptionnelle […] Elle qui avait « contenu en Elle Dieu incontenable [4].

Histoire

L’icône de Notre-Dame de Kazan doit son appellation à la ville qui l’a rendue célèbre. Plusieurs autres villes russes ont donné leur nom à des icônes anciennes : la Vierge de Vladimir, l’Orante d’Iaroslavl, la Vierge de Korsun, Notre-Dame de Tikhvin et la Vierge du Signe de Novgorod pour n’en nommer que quelques-unes. Chacune d’entre elles a une histoire étonnante qui l’a rendue célèbre. Elles sont encore aujourd’hui vénérées non seulement par les Églises de rite orthodoxe mais aussi par plusieurs autres Églises chrétiennes dont les catholiques.

La datation de la première icône de la Vierge de Kazan n’est pas confirmée ; certains avancent son écriture au XIIIe siècle et son origine serait Constantinople. Certains historiens pensent qu’elle serait une copie de l’icône de Blachernae, une icône de Constantinople datant du VIIe siècle. Perdue plusieurs fois, cette icône aurait été miraculeusement retrouvée intacte par une fillette de 10 ans dans les débris de la ville de Kazan, située sur la Volga à l’est de Moscou, après son incendie de 1579. La fillette aurait reçu les révélations de sa localisation lors d’apparitions de la Vierge elle-même lui demandant de retrouver l’icône.

On accorde à cette icône plusieurs miracles de protection de villes russes assiégées lors d’invasions barbares ainsi que plusieurs miracles de guérison. Notre-Dame de Kazan fut considérée comme la libératrice de la Russie et l’âme de son peuple. Elle est le symbole de l’unité russe. L’icône est vénérée par l’Église orthodoxe mais aussi par l’Église catholique quoique sa fête n’est inscrite que dans le calendrier liturgique orthodoxe qui la célèbre deux fois le 8/21 juillet et le 22 octobre/4 novembre selon le calendrier utilisé (julien ou romain). La première fête rappelle l’évènement de 1579 et la seconde souligne la protection que Notre-Dame de Kazan accorde à la Russie. Il est intéressant de noter que c’est la seule fête religieuse chômée en Russie, en plus de Noël [5].

Cette icône mariale a, dans sa fabuleuse histoire, un chemin lourd de rebondissements. Après sa prodigieuse découverte, elle voyagea de Kazan à Moscou, ensuite à Pétrograd (Lenningrad, aujourd’hui Saint-Pétersbourg), à Fatima (Portugal), à San Francisco (États-Unis), au Vatican (Italie) pour enfin être remise par le pape Jean Paul II en 2005, en grande pompe, aux autorités religieuses de la Russie et retrouver son lieu d’origine, Kazan, à l’intérieur de la cathédrale de l’Annonciation [6]. Nous pouvons voir sur les images de la cérémonie de translation que l’icône est recouverte d’une riza ou oklad. Ce type d’icônes est recouvert de feuilles d’argent ou d’or ciselées et serties de pierres précieuses et de perles. Le métal ne couvre généralement que les vêtements des personnages laissant voir leur visage et leurs mains. En plus d’enrichir les images, il les protège.

basilique

Icône écrite par Marie-Cécile Windish-Laroche, iconographe de Montréal (image reproduite avec autorisation).

Lecture de l’icône

Il y a quatre types de représentations fondamentales pour la Mère de Dieu : celle qui trône (Kyriotissa), celle qui prie (l’Orante), celle de la tendresse et de la miséricorde (Eleousa) et celle désignant Jésus comme la Voie (Hodiguitria). Il faut noter que chacun de ces quatre modèles a donné naissance, au cours des siècles, à de nombreuses variantes. L’icône de la Vierge de Kazan emprunte son modèle à la dernière catégorie.

L’Orient représente toujours la Theotokos avec les cheveux, la partie supérieure du front et les épaules cachés par un voile bordé d’une frange dorée, appelé maphorion. Une Vierge aux cheveux apparents et ouverts à l’occidentale s’avère impensable. Trois étoiles d’or ornent le maphorion, à savoir une sur le front et une sur chaque épaule [deux seuls sont apparents sur cette icône, Jésus se trouvant devant la troisième]. Bien que considérées par certains comme un symbole de la Sainte Trinité, la tradition russe y voit le signe de la virginité avant, pendant et après l’enfantement [7].

Les couleurs de ses vêtements sont à quelques exceptions près toujours les mêmes. Sa robe et son bonnet sont peints en bleu, couleur qui symbolise la pureté du sujet, et son voile est toujours de pourpre, figurant sa royauté. La pourpre est depuis l’Antiquité traditionnellement un signe d’honneur et de pouvoir religieux et/ou politique. De plus, sur cette icône, le voile est incrusté (peint) de plusieurs perles et pierres précieuses. Ces riches parures mettent l’accent sur son titre de Reine des Cieux. Marie et l’enfant sont représentés face à celui qui regarde l’icône.

L’enfant Jésus y est représenté debout au côté de sa mère. Sa robe blanche et son manteau recouvert de stries d’or symbolisent sa gloire. Seule une main de Jésus qui bénit est visible sur l’icône.

Les deux lettres de chaque cotée de l’auréole de Marie sont les première et dernière lettres des mots en grec de Mère de Dieu. Le tiret horizontal sinueux au-dessus d’eux signifie que les mots sont abrégés. Les lettres grecques placées dans l’auréole de Jésus signifient Celui qui est. Ces inscriptions ont conservé leur tradition byzantine de toujours être écrites sur les icônes représentant Marie et/ou Jésus et de toujours l’être en grec.

Pour conclure et rapprocher un peu l’histoire de cette icône de nous, il est intéressant de savoir ceci :

« La fête de Notre-Dame de Kazan tourne autour de l’icône miraculeuse de la Vierge de Kazan. Le côté cultuel et cérémoniel va de pair avec celui culturel et politique, la fête étant associée à la naissance de l’âme russe, donc de la nation russe. À cette occasion, les Russes commémorent les soldats tombés pour défendre leur pays. Les lieux de culte portant le nom de la Vierge de Kazan célèbrent la fête de la paroisse et de l’église. C’est le cas de la chapelle Notre-Dame-de Kazan de Rawdon qui, le 21 juillet de chaque année, réuni jusqu’à deux cent fidèles venant de partout au Québec. […] [Pendant la cérémonie religieuse de la fête] l’icône de la Vierge de Kazan est portée par une femme […] Les femmes sont les porteuses des icônes. Protectrices de la maison et de la famille, elles ont aussi la charge d’assurer la protection divine [8]. »

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] Patrick Sbalchiero, Enquête sur les miracles dans l’Église catholique, Montréal, Novalis, 2019, p. 21-22.
[2] Elka Bakalova, « La vénération des icônes miraculeuses en Bulgarie », (Cairn.info).
[3] Michel Quenot, L’Icône, Paris, Cerf, 1987, p. 157.
[4] L. Ouspensky, Théologie de l’icône dans l’Église orthodoxe, Paris, Cerf, 1980, p. 35.
[5] « Parlons orthodoxie, L’icône de Notre-Dame de Kazan est particulièrement révérée en Russie », (Egliserusse.eu).
[6] « Rediscovered a Holy Treasure » (Soufanieh.com).
[7] M. Quenot, L’icône, p. 157-158.
[8] « La fête de Notre-Dame de Kazan chez les orthodoxes russes » (IPIR).

rosette

Bible et culture

Zone franche de dialogue entre la Bible et la culture (arts, cinéma, littérature, télévision, campagne publicitaire, etc.). Cette rubrique vous propose réflexions ou commentaires à la croisée de ces deux univers.

Cathédrale de l’Annonciation de Kazan

Cathédrale de l’Annonciation de Kazan

Cette cathédrale est une église orthodoxe d’architecture typiquement russe édifiée à partir du 14e siècle et modifiée jusqu'au 19e siècle, située dans le kremlin de Kazan en Russie. (Wikipédia)