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Au féminin
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chronique du 16 avril 2004
 

Rien à faire, rien à dire

Lire Marc 15, 40-41 (Vendredi Saint)

À Golgotha, tout au pied de la croix, une foule bigarrée, des soldats, des passants, des grands prêtres, des scribes. Une foule anonyme, bruyante, agitée. Une foule qui crie des insultes, des moqueries, des blasphèmes ; une foule qui ose des gestes de railleries même.

Aux cris de ces hommes répond le cri, unique, de Jésus en croix, le cri qui le libère d'une agonie ordinairement interminable, cri prémonitoire de la délivrance.

Et ce cri parvient aux femmes qui sont là, à distance, sans mot, fixant de leur regard la croix. De nombreuses femmes muettes, désormais désoeuvrées, sans paroles, sans gestes… Et parmi elles, des femmes connues et reconnues, des femmes nommées: une femme disciple, Marie de Magdala, et deux mères de disciples, l'autre Marie et Salomé. Assistantes qui suivaient et servaient le Maître en Galilée.

Assistance de femmes qui marque ce jour de deuil, assistance de femmes qui ne sombreront pas dans l'oubli. Présences si fortes que l'évangéliste les voit, les reconnaît, les nomme. Femmes muettes dont la parole n'avait aucune valeur, qui, pourtant, sont à tout jamais témoins-clef dans le témoignage public des quatre évangélistes.

Femmes qui sont, parce qu'elles sont là!

Mais que font ces femmes à la croix ?

Elles ne font rien. Elles ne disent rien.

Pas comme ce badaud qui tend une éponge de vinaigre avec cruauté.

Pas comme les gardes et ceux qui sont crucifiés avec Jésus qui insultent le condamné.

Pas comme ce centurion qui confesse sa foi.

Pour elles, il n'y a plus rien à faire. Fini le temps du service…

Plus d'accès possible au souffrant,

plus de gestes adéquats,

plus de paroles appropriées,

pas même un cri, une larme, un soupir, une prière…

L'impuissance infinie devant l'abomination.

Témoins de détresse sans nom, de douleurs sans fin, elles savent qu'il n'y a rien à faire. Quand les recours sont épuisés, quand les révoltes sont écrasées, quand tout a été tenté, et qu'il n'y a plus rien à faire, les femmes au pied de la croix, les femmes au pied de la souffrance infinie, de l'échec et de la mort, savent l'admettre et rester.

Rester et regarder.

Mais quel est leur regard ?

Blanc du texte… Pourquoi l'évangéliste ne qualifie-t-il pas ces regards ?

Comment admettre des regards qui ne parlent pas ? Regards muets qui renvoient à la conscience, qui reflètent la crucifixion et l'horreur sans nom.

Faire face. Recevoir.

Se rendre présent et rendre présent ce qui se passe.

Regard à la jonction entre ce qui se passe au-dedans et au-dehors.

Regard qui donne du poids à l'événement.

Elles regardent à distance, distance dans le temps, distance dans l'espace.

Il est trois heures, il est neuf heures, le temps glisse sur elles, immobiles, hors du temps, mais présentes au cri de délivrance, présentes à l'instant présent, à l'événement fondateur.

Distantes dans un éloignement qui rend témoignage de leur impuissance, de l'impossibilité de faire pression, de changer le cours des choses. Distance de celles qui n'ont pas de solution. De celles qui savent qu'elles ne pourront pas aller plus loin, que s'arrête là leur assistance.

A vendredi saint, l'heure n'est pas d'abord aux mains, mais aux yeux. L'heure n'est pas à l'immédiateté ou à la proximité. C'est l'heure à présent de la passivité, de l'inaction, du rien faire, du ne plus pouvoir, de la présence en retrait, du retrait dans la présence … Bien loin de l'indifférence, du détachement, du voyeurisme ou de la complaisance … pour laisser toute la place au cri.

Rien à voir

Lire Marc 16, 1-8 (Dimanche de Pâques)

Comment parler de la Résurrection? Les mots se dérobent. L'événement est tellement inouï! D'ailleurs, l'évangéliste le sait bien qui ne se hasarde pas à la décrire. Tout ce qu'il raconte, ce sont les effets sur les premières personnes qui y sont associées. La Résurrection reste en elle-même, dans le récit, un point aveugle, un espace blanc. Allez, il n'y a rien à voir ici.

Marie de Magdala, Marie, Salomé ont fini par détourner leur regard du calvaire pour voir où le corps était déposé. Puis elles se sont retirées, temps imposé par le Shabbat, temps de repos, accomplissement de la création ; temps d'intériorisation et d'appropriation, temps de réparation, temps de préparation. Temps de gestation.

Autant la crucifixion était du domaine public, événement exposé à la risée du monde, autant la résurrection est du ressort de l'intime.

Elle se passe dans les entrailles d'un tombeau.

Grotte creusée dans le rocher et fermée par une pierre, le tombeau condense toutes les craintes, toutes les attentes, tous les espoirs pour l'au-delà. Lieu initiatique, lieu de passage mythique, lieu sacré conduisant de l'enfance à l'adolescence, garante de la mémoire, ouvrant sur un monde inconnu investi de tant d'imaginaire. Grotte fermée par une pierre antique et fertilisante, venue de la nuit des temps, et porteuse de mémoire : pierre dressée par Jacob comme une porte vers le ciel, rocher divin porteur de grâce.

C'est là que repose le corps, voilé dans son linceul.

Hier au soir, dès le coucher du soleil, dès la fin du Shabbat, elles ont quitté leur intérieur pour se préparer à dévoiler le corps pour l'embaumer.

Ce matin, avec le lever du soleil, le temps est venu d'agir. Les voilà toutes empressées de passer à l'action, accaparées par des questions matérielles. Elles s'activent, les mains pleines, le pas leste, le cœur lourd, certes,… mais utiles, pouvant enfin servir à quelque chose! N'est-ce pas ainsi que l'on se résigne à l'inéluctable ? Quand il n'y a plus grand chose à faire, on se raccroche à ce qui peut encore être fait… Un embaumem ent, comme ici, en bonne et due forme. C'est tout ce qui reste. Mais c'est au moins cela…

Ce sont les gestes de la vie, de la vie de tous les jours, de l'habitude, qui parent à l'imparable.

Une manière aussi de retarder l'après, le temps de la pleine prise de conscience. Eviter le coup de déprime, le blues, le vide, le non-retour. Comment survivre au traumatisme, à la perte, à la séparation ? Comment retrouver goût à la vie ? Une vie à nouveau désirable, savoureuse, pleine ?

Marie de Magdala, Marie et Salomé en route vers le tombeau ouvrent la voie car, sans le savoir, sans le comprendre, sans s'y attendre, elles vont vivre un bouleversement total. Elles sont venues pour « en finir » et seront envoyées pour commencer une vie autre.

Elles se retrouvent hors du tombeau, expulsées, hors d'elles,…

comme après un enfantement…

Car ce qui est raconté là,

c'est une forme d'accouchement,

le laborieux travail qui précède toute naissance,

un temps de latence, d'attente,

suivi d'un moment intense de transformation,

la douleur, l'agitation, la hâte qui précèdent toute délivrance…

C'est ainsi que nous est évoquéela Résurrection.

Marie de Nazareth avait mis Jésus au monde.

Dans une grotte à Bethléem.

D'autres Maries assistent à sa nouvelle naissance.

Dans une grotte à Jérusalem

Et sa naissance à lui, le premier-né d'entre les morts,

n'en finit pas d'engendrer de nouvelles naissances.

Halètements pour la vie à venir, pulsations rythmant le récit…

Inspir, souffle de vie qui remplit l'espace et permet le lever, mouvement de bas en haut: lever des femmes, lever du soleil, lever des yeux, lever de la pierre.

Expir, lâcher-prise, abandon, expulsion: mouvement du dedans vers le dehors : elles pénètrent dans le tombeau et en sont expulsées, elles se parlent entre elles, puis une voix les interpellent… voix qui les laisse sans voix.

Elles s'approchent du tombeau et lèvent les yeux … inspir...

Elles passent de l'étonnement du premier regard à l'épouvante qui vient des tripes…et elles sortent, s'éloignent et s'enfuient … expir…

Le moment de leur délivrance est proche, le moment où leurs yeux s'ouvriront. Où elles verront le Ressuscité.

Pour l'heure, elles sont encore dans les douleurs. L'absence de corps est un déchirement. Le travail n'est pas terminé.

Comment s'étonner alors que le récit s'achève sur une terreur sans nom, sans mots? Une fuite ? Relation juste de femmes vraies.

Pas de joie. Pas d'élan de foi. Pas de sérénité.

Les faits, les gestes, les paroles et les émotions s'entrechoquent…

Confusion. De quoi être mis hors de soi. Vraiment…

Elles ne savent plus où elles en sont.

Balbutiements de la vie qui commence, mouvement chaotique du début de la création. Ce premier jour de la semaine, inscrit dans la mémoire comme le  huitième jour de la création… Création qui a surgi du tohu-bohu et qui reprend ici par un autre chambardement. Jour premier où tout va commencer.

Et commencer au tombeau.

A la place de ce qui est attendu,… surgit l'inattendu.

A la place du corps gisant,… un jeune homme remplit tout l'espace par sa parole.

Absence de corps qui les épouvante. Absence de corps qui les oblige à quitter le tombeau, à porter ailleurs leurs regards et leurs soins. Tombeau vide où il n'y a plus rien à voir, parole de mise en route qui les renvoie dans la vie.

Au cœur du tombeau résonne cette phrase essentielle pour dire le comment dela Résurrection: « Il vous précède en Galilée »

En Galilée, parce que c'est là que tout a commencé.

De pertes en retrouvailles,

De fin en commencement,

de voilements en découvertes,

D'enfantements en enfantements,

« Il vous précède en Galilée »

Débora Kapp
pasteure

Véronique Isenmann

Chronique précédente :
En route pour la vie ou l'expérience du veau d'or

 

 

 

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