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Au féminin
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chronique du 25 juin 2004
 

Un temps pour tout

Lecture à deux voix par Véronique Isenmann, théologienne (traduction et étude) et Débora Kapp, pasteure (actualisation - en italique dans le texte).

Pour tout, un moment fixé
et un temps pour tout désir sous les cieux

Un temps pour enfanter
et un temps pour mourir

Un temps pour planter
et un temps pour déraciner le plant

Un temps pour tuer
et un temps pour guérir

Un temps pour faire une brèche
et un temps pour construire

Un temps pour pleurer
et un temps pour rire

Un temps pratiquer les rites de deuil

Un temps danser

Un temps pour jeter des pierres
et un temps pour rassembler des pierres

Un temps pour embrasser
et un temps pour s'éloigner des embrassements

Un temps pour demander
et un temps pour être égaré

Un temps pour garder
et un temps pour jeter

Un temps pour déchirer
et un temps pour coudre

Un temps pour se taire
et un temps pour parler

Un temps pour aimer
et un temps pour haïr

Un temps guerre
et un temps paix

Tout ce chant est construit comme une respiration, en un temps de sagesse et de lucidité.

Première respiration

Un temps pour se taire
et un temps pour parler

Pour lui, le Sage, le Qohéleth, le temps est venu de parler.

Il n'est plus tout jeune, il n'est pas tout vieux, il est dans la force de l'âge, et il a assez vécu pour tirer un premier bilan. Il vit à la croisée des mondes, imprégné de culture sémitique, hellénistique et égyptienne. Il vit à la croisée de l'Histoire, dans un monde en perte de repères, un vaste monde conquis par Alexandre le Grand, un monde où chaque dynastie veut laisser son empreinte, où le phare d'Alexandrie va rayonner sur un immense village global entre Afrique et Asie.

Le temps est venu pour lui de parler.

Comme le Qohéleth, nous prenons avec les ans quelques cheveux gris sur nos têtes, signes du temps qui a passé, signes des soucis et des joies, des peines et des réalisations, signes de toute l'expérience que nous avons engrangée, signes de notre maturité. Nos familles, de sang et de coeur sont bigarrées, issues de mondes multiples, faits de terres natales, de terres d'adolescence et d'études, issues des terres des premières expériences, de la terre des voyages et des rêves… terres parfois bien éloignées… et c'est ce que aussi ce qui unit : cet exotisme, ce décentrement, cet air venu d'ailleurs…

Cette année a commencé, comme tant d'autres années, ou plus encore peut-être, avec un remue-ménage, source de remue-méninges. De quoi demain sera-t-il fait ? Où en seront notre monde professionnel, notre santé, ou nos projets personnels?

Et c'est à nous que vient parler le Qohéleth, d'adulte à adulte. C'est en sa compagnie, en écho à son poème, que nous vient le temps de mettre les instants épars de notre vie dans une perspective plus large, plus cohérente, plus apaisante.

Deuxième respiration

C'est, pour le Sage, le temps de parler. Les mots lui viennent à la bouche comme le souffle même de la vie. Souffle en paires de mots, de versets ; souffle en deux temps, deux mouvements, intimement liés en un fondu-enchaîné, mais non confondus, indissociables mais non simultanés.

Des paires de verbes du monde du faire, verbes du yang, de l'expiration. Verbes du masculin agissant : planter, déraciner, tuer, guérir, faire , construire, pratiquer, danser, jeter, rassembler, embrasser, s'éloigner, demander, perdre, garder, jeter, déchirer, coudre, taire, parler, aimer, haïr.

Paires de verbes du faire entrelacés par les verbes de l'être, de l'inspiration, du yin; verbes du rêve, du féminin réceptif : enfanter, mourir, pleurer, rire.

Et, comme pour mieux les embrasser, au début du poème et à sa fin, des mots de nature différente, des noms pour remplacer les verbes, des noms pour enrober ces verbes : moment fixé, désir, guerre, paix. Des noms qui donnent chair aux verbes.

Ainsi son poème est fait d'une grande vague d'être qui se nourrit aux multiples vagues du faire.

Respiration UNE, à l'image de la création,
UN fait de DEUX, nuit et jour,
ombre et lumière,
masculin et féminin,
UN temps fait de deux, l'un contre l'autre.

Notre vie est encombrée de faire… aussi nombreux et variés que ceux qu'égrène le Qohéleth. Dans la vie précipitée que nous menons, nous avons du mal à reprendre souffle. Nous risquons chaque jour de nous  essouffler, d'arriver au bout de nos ressources, de tourner à vide.

Mais nous vivons aussi des moments de gratuité, des moments où tout le plaisir consiste à « faire rien », des moments où le simple fait d'être là est important.

Le temps des vacances est un de ces temps de vacance, l'une de ces belles occasions où nous pouvons nous poser, reprendre souffle, savourer la présence des un/es et des autres. Voici enfin venu le temps de goûter aux fruits de ce que nous avons cogité, fait, concocté pour cette saison..

Il est vrai que nous avons du mal à penser aux pleurs quand nous sommes tout à la joie, à envisager les deuils quand nous sommes en train de danser, ou à imaginer la (re)construction quand tout semble s'écrouler autour de nous.

Et pourtant, Qohéleth met les choses dans un même mouvement… comme pour nous rappeler qu'il n'y a ni fatalisme, ni arbitraire, ni de quoi être blasé.

Les temps de notre vie alternent, comme le jour suit à la nuit. Chaque journée est faite des deux moments. Moments que nous vivons  l'un après l'autre, sans confusion possible ! Mais avec des points de rencontre, aube et crépuscule, où ces temps se fondent pour mieux naître l'un de l'autre.

Ainsi, les difficultés ne sont-elles pas à évacuer pour faire la fête, le temps d'égarement, de remise en question et d'épreuve n'est-il pas à mettre entre parenthèse quand vient le temps du repos, du délassement, du divertissement.

Ils se nourrissent les uns des autres.

Troisième respiration

Et les respirations se suivent dans la bouche du Sage. Rythme apaisant à nos oreilles, à notre coeur, à notre âme, mots qui sonnent justes, vrais. Vision de paradis où tout est dit ?

Un temps pour enfanter et un temps pour mourir

Un temps pour tuer et un temps pour guérir

Un temps pour demander et un temps pour être égaré

Il n'est pas ici question de paradis, mais bien plus d'un bilan détonant, décoiffant, où les couples ne sont pas ceux qu'on attendrait, où l'inattendu a sa place et fait le pied de nez à un bilan ennuyé, détaché ou désabusé. Qui en dehors du Sage aurait eu l'idée d'associer enfanter - et non pas naître - et mourir, tuer et guérir, demander et être égaré ?

Une histoire de vie où il reste, dans les années qui passent et le temps qui s'écoule en un rythme immuable, de la place à l'événement, temps fondateur qui vient trancher dans le long fleuve tranquille, temps qui surgit pour mettre en route, moment unique qu'on n'oubliera jamais, kairos dans le kronos.

Qohéleth construit des couples de mots détonants. Nos couples aussi sont détonants. Cela les empêchent-ils de durer, de se renouveler, et même de se perdre? Et les enfants qui naissent ne sont ni totalement à l'image de l'un, ni de l'autre (heureusement pour eux, pour nous  : nos enfants ne sont pas nos photocopies…). Nos enfants sont inattendus, surprenants, imprévisibles…

Pourtant souvent nous nous attendons à vivre les événements comme d'habitude, en prenant comme d'habitude les choses en main, en pensant à tout, en supervisant le tout, en contrôlant tout, en décidant de presque tout… et surtout en notre absence, pendant nos vacances.

Et, bien, non, pas toujours, … pas cette fois… Le cycle est rompu, la routine si bien huilée et rodée ne fonctionne pas… Apprendre à lâcher prise, à laisser d'autres monter au créneau, à faire autrement, à se laisser surprendre.

Autre temps. Autre forme. Nouvelle époque inaugurée aujourd'hui en ce temps de vacances ?

Bien sûr, quand on lâche prise, on risque d'être déçu : l'autre n'imagine peut-être pas les choses comme nous ! Bien sûr, cela déstabilise et donne quelques sueurs…

Mais au fond.. n'est-il pas temps de donner à l'autre une chance de vivre nos vacances autrement ?

Quatrième respiration

Un temps pour tout désir sous les cieux

Un temps pour enfanter

Un temps pour faire une brèche

Un temps pratiquer les rites de deuil

Un temps danse

Un temps guerre

Un temps paix

Quatre moments sont comme suspendus dans le temps : les rites de deuil, la guerre, la danse et la paix. Tous les autres moments de ce chant sont traversés par une tension, une direction, reliés par un tout petit mot de rien du tout, à peine une esquisse de conjonction : « pour ».

En hébreu une seule lettre qui fait toute la différence : imprime un mouvement et répète tout au long du chant le désir exprimé au début du texte, désir qui fait partie intégrante de la vie, qui lui imprime un mouvement, la rend dynamique;

Désir pragmatique, incarné, concret, reliant l'être et le faire, le masculin et le féminin, le divin et l'humain, qui dessine un éclair, qui relie comme un coup de foudre.

Dans ce temps qui s'ouvre à nous, il y a en gestation de nombreux temps de paroles : paroles de souffrance et paroles de consolation, paroles de couples, paroles de parents, paroles d'enfants, paroles de bénédiction, paroles d'amis, gestes d'amitié, petites graines à semer.

Et il y a la parole « divine » du Qohéleth…

Chacune a son ton, sa couleur, sa largesse ou sa discrétion.

Chacun apporte sa pierre de construction à la fête ou son caillou d'étonnement…

Chacune est liée aux autres, se nourrit de celles des autres, est changée par celles des autres. Chacune est l'expression d'un désir, d'un voeu, d'une promesse.

Pause

Le chant du Sage, qui chante ces temps de désirs, est en lui-même un moment de pause entre deux temps. Rare moment de grâce où il lui est donné de voir l'invisible, où les nombreux instants d'une vie se donnent rendez-vous pour être UN.

Moment tout à la fois de danse et de deuil, de guerre et de paix. Moment unique avant le retour du désir.

Moment béni de Dieu, moment à boire et à manger, dit le Sage dans la suite de son chant.

Vacances, rassemblement intérieur, familial, amical, avec la joie de se retrouver et d'écrire une nouvelle page de vie. Vacances habitées aussi tout au fond par les combats à mener, les discernements à opérer, les acceptations à faire.

Nous aurions de quoi pleurer, nous lamenter, baisser, les bras, nous mettre en colère. Et pourtant, sachant ce qui nous pèse, nous mine, nous empêche même de dormir, nos rires se sont-ils pas plus francs ? Nos pas de danse plus légers, nos conversations plus justes ?

Moment béni de Dieu, à boire et à manger. Eucharistie, qui nourrit et porte en elle et la souffrance et la libération, et la solitude et la communion, et la dureté et la légèreté…

Chronique précédente :
La femme de Lot ou la statue de sel

 

 

 

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