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Au féminin
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chronique du 22 avril 2005
 

Souvenez-vous
 

Lire Luc 24, 1-11

Deuil

Comme les femmes au tombeau nous savons la violence de la mort, nous connaissons la stupeur que provoque le dernier souffle, nous éprouvons la douleur de sentir le corps raidi et inerte. Comme elles, nous savons combien cela prend du temps pour nous faire à l'idée que tout est terminé.

Il leur a fallu deux nuits et toute une journée pour qu'elles soient prêtes... prêtes à entrer dans le deuil. Entrer dans le deuil, nous le savons, nous l'avons vécu, nous n'avons pas fini de le vivre, c'est réaliser que la personne décédée ne sera plus.

Plus de routes à parcourir avec Jésus, plus de paroles à méditer, plus de guérison à apprécier, plus de repas à partager, plus de regards croisés, de mains étreintes, de sourires complices.

Avec la mort, c'est un monde qui s'écroule. Pour elles, comme pour nous.

L'aimé est inaccessible. Ne reste qu'un corps, gisant, voué à la poussière, destiné à disparaître, à ne plus laisser de traces.

Il en faut du temps, le temps infini du chagrin, pour se laisser déposséder ainsi. Cela coûte beaucoup d'énergie que de se résigner, que d'accepter qu'il en soit ainsi.

Or, il faut en passer par là, si l'on veut avoir une chance de survivre à la séparation définitive. Avec la mort d'un proche, d'un ami, d'un aimé,

c'est une part de nous-mêmes qui meurt aussi. La mort s'immisce en nous.

La mort, une fin totale? Vision biblique. La mort, c'est la fin. Point final.

Transition

Maintenant qu'elles sont entrées dans le deuil, elles peuvent faire l'ultime tâche, rendre le dernier hommage, prendre congé, définitivement.

Elles ont préparé ce qu'il faut : aromates, parfums, linges. Elles se raccrochent à ce qui a permis à tant d'autres à surmonter la séparation.

Le rituel de l'embaumement va les aider à clore l'histoire partagée, à enterrer le passé. Elles y trouvent le courage d'aller vers le lieu où tout s'arrête, où tout est ordonné, figé, pétrifié. Elles sont là pour la fin, l'accomplissement, la fermeture de la vie. Cela doit leur coûter.

Nous savons combien cela fait mal et combien cela coûte de force que d'arriver jusque là. Jusqu'au cimetière, jusqu'à la tombe, jusqu'au corps.

Irruption

Mais à la place du gisant, deux êtres de lumière.

A la place du corps, une parole.

Que c'est dur de faire face à de l'imprévu quand on est déjà éprouvé, à bout de forces, à bout de soi.

Les femmes n'en demandaient pas tant.

Elles ne demandaient rien.

Elles n'attendaient rien, n'imaginaient rien, concentrées sur leur ultime tâche, sur leur infime participation.

Mais la résurrection surgit comme un voleur, comme une emprise, comme un arrachement.

Quelle secousse violente.

Quelle brusquerie.

Quelle puissance.

Quel chaos.

Elles ne sont pas ménagées.

Délogées de leur rite.

Dépouillées de leur raison d'être venues.

Tourneboulées, déstabilisées, déplacées.

« Elles ne savaient pas quoi faire. »

On le comprend! Il y a de quoi avoir le souffle coupé, les jambes qui se dérobent, un coup de poing dans l'estomac. La vie ressuscitante est violente, choquante, effrayante.

« Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts? »

Quel irrespect vis-à-vis du pouvoir dévolu à la mort.

C'est elle qui est délogée.

C'est elle qui est dépouillée.

C'est elle qui est déplacée.

Comment vont-elles se ressaisir, faire face à l'imprévu, tenir le coup?

« Souvenez-vous! » :

Une parole les met en route.

Une parole leur insuffle un nouveau souffle, dénoue la tension,

ré-oriente le cours des événements.

Une parole qui fait appel à la mémoire des femmes :

« Souvenez-vous de ce qu'il vous a dit... »

Se souvenir, faire mémoire

A la tombe, au tombeau, au mémorial, pierre roulée en souvenir

En grec, les sonorités aident au décryptage :

tombe, mnèma,

tombeau, mnèmeion,

se souvenir, mnèmoneuo...

Tombe mémorable.

Et elles se souviennent.

Et elles s'en retournent...

Et elles parlent...

Leur mémoire s'éveille

alors qu'elles sont dans le lieu qui fige les souvenirs.

Leur énergie s'éveille au cœur de la mémoire-tombeau,

de la mémoire qui clôt, qui étreint, qui étouffe.

D'une mémoire à l'autre.

De la mémoire qui pèse, écrase, ensevelit, elles renouent avec la mémoire qui libère, redonne souffle, remet en route. De la nostalgie au plaisir de se remémorer, du ressassement à l'émergence de sens.

Du tombeau, elles passent au mouvement.

De la tombe, elles retournent en plein air.

C'est le passage de la résurrection qu'il leur est donné de vivre.

À partir du passé, du passé retrouvé, réactivé, revisité.

Immergées dans le souvenir des paroles de Jésus, elles sont transformées : d'emmurées, elles deviennent mobiles, de muettes, elles deviennent causeuses, d'êtres de seconde zone, elles deviennent témoins de premier plan.

C'est là mon incroyable découverte dans l'injonction au tombeau vide :

« Souvenez-vous. »

Le tombeau vide comme mémorial de la résurrection.

La mémoire comme matrice de l'espérance.

La mémoire comme source.

La mémoire, fluide, qui coule entre ce qui a été vécu et ce qui s'offre à vivre. La mémoire qui fait la navette entre le temps du passé, imparfait, et le temps du présent, inaccompli. Et le tissu de vie se rallonge...

Cette mémoire, Luc l'a ravivée pour écrire son Évangile.

Cette mémoire est invoquée quand est dit le Notre Père, quand sont relues les pages du Vieux Livre, quand un lien est cherché entre des paroles ancestrales et notre aujourd'hui.

Mémoire que nous portons en nous.

Mémoire inconsciente de notre enfantement, où nous avons survécu à la mort du fœtus que nous étions avant de surgir du ventre maternel. Mémoire qui nous ouvre à tous les enfantements qui jalonnent notre existence. Mémoire de nos premiers pas, de nos premiers mots, mémoire de l'équilibre que nous avons appris. Mémoire des premiers mots. Dire et être compris; mémoire de l'acquisition de la parole, que nous avons expérimentée. Mémoires qui nous rendent forts dans chaque nouvel apprentissage.

Mémoires multiples; mémoires closes, lourdes, figées qui, au fond, nous permettent de tenir debout.

La mémoire qui s'est éveillée chez les femmes dans leur mémorial à Jésus est de cet ordre-là. Une mémoire qui a souvenir des douleurs et des victoires, des promesses et des accomplissements, du rite et de l'imprévu. L'expérience des femmes dans la tombe-mémoire nous invite à renouer avec notre mémoire vive (1). Et ceux qui disent que ce ne sont que radotages sont peut-être ceux qui ont perdu la mémoire?

Ainsi se rend présent le Créateur

qui, dans les lieux de morts, appelle à la vie.

Ainsi la mort est-elle traversée par le Vivant.

Ainsi, dans le périssable, dans l'immaîtrisable, dans le misérable,

est rendu proche l'Eternel, le Puissant, le Très-Haut .

Formidable renouveau de la mémoire! Ainsi soit-elle!

Débora Kapp
Pasteure, Fribourg (Suisse)

(1) Dans un ordinateur, la mémoire morte est celle qui contient en puissance tous les éléments qui permettent le démarrage de la machine, la mémoire vive, celle qui reçoit et transforme le travail qui se fait, les mémoires externes, les lieux qui permettent de garder et transmettre les outils et le travail fait. Chaque fois que j'allume mon ordinateur, il se fait tout un travail, de mise en mémoires et de liens entre elles, indispensable pour que mon appareil puisse se remettre en route. Il me fallait au passage saluer le clin d'œil du monde électronique qui me rappelle désormais au quotidien de manière sans doute bien involontaire la mise en mémoire initiée à la résurrection à travers les paroles transmises par l'évangéliste! (note de Véronique Isenmann)

Chronique précédente :
La Syrophénicienne

 

 

 

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