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chronique du 7 décembre 2007
 

Une femme déraisonnable donne le ton
Compromis, accommodements et autres quêtes identitaires¹

Lire Matthieu 15, 21-28

« Entre ce que je pense,
Ce que je veux dire,
Ce que je crois dire,
Ce que je dis…
Ce que vous voulez entendre,
Ce que vous entendez,
Ce que vous croyez comprendre,
Ce que vous voulez comprendre,
Et ce que vous comprenez….
Il y a au moins neuf possibilités de ne pas s'entendre… » [2]

     … Et la campagne d'automne de Terre Nouvelle [3] veut parler de dialogue, et de plus de dialogue au Proche Orient. Il y a de quoi rire, ou pleurer. Ce coin du monde où il semble bien que la Paix n'ait jamais été autre chose qu'une utopie…

     D'ailleurs même Jésus s'y est laissé prendre.  Même lui, si, si! J'adore cette histoire, peut-être parce que c'est celle où Jésus me parait le plus humain, le moins divin. Car, il faut bien l'avouer, dans cette rencontre Jésus ne se montre de prime abord tout à fait à la hauteur de la situation… Pas très éclatant d'amour et de tendresse… Les mauvaises langues iraient même jusqu’à lui prêter une attitude xénophobe. Pensez : il injurie quasiment une femme, une étrangère qui plus est, qui n'avait rien fait de mal, si ce n'est d'avoir d'oser lui adresser la parole. Traiter quelqu'un de chien, même aujourd'hui ça paraît difficile d’en faire un compliment.

     Eh oui! Cette fois Jésus semble bien s’être laissé prendre au jeu du chauvinisme : on est les meilleurs, y'en a point comme nous, nous sommes le peuple élu… Eh oui! Jésus, cette fois, commence par se taire, par s'enfermer dans le silence, faire semblant de rien, ne pas voir la misère de l'autre, de l'étrangère, qui n’est pas comme lui… Eh oui! Jésus, acculé à devoir répondre, dit : Je suis venu pour sauver les brebis perdues d'Israël, sous-entendu pas les autres. Merci pour nous ! Et si on était du mauvais côté de la barrière? Quand j’y pense, ce n’est pas droit plaisant…

     Bon, quand j’y réfléchis, je me dis que Jésus a des excuses quand même. Mais oui, attendez, que je vous explique : Israël, au temps de Jésus, vit sous la domination romaine. C'est un moment difficile de son histoire (encore un…), un moment où d'une part ce petit peuple est confronté à la grandeur du monde (le monde s'arrêtait aux frontières de l'empire à cette époque-là) et donc à l'expérience de la mondialisation. Et à ce jeu-là, le petit peuple n'est pas tout gagnant : il est envahi, dominé par une puissance étrangère, étranglé financièrement par les taxes en tous genres, envahi par des dieux qui ne sont pas les siens… Une époque de perte de repères et de valeurs, une époque où l’on a peur de se perdre dans la multitude du monde, de perdre sa culture, sa foi, ce qui fait son identité…  À ce stade, je tiens à préciser que tout ressemblance avec une situation connue ou actuelle est fortuite… quoi que…

     Et dans l'histoire du monde, d’Abraham à nos jours, quand un peuple a peur de perdre son identité, il répond généralement par un repli sur lui-même, un renforcement des lois, un renforcement de la notion d'identité, et l'exclusion de tous ceux qui n’en sont pas: les différents, les pas comme nous, étrangers, malades, personnes âgées, handicapées…

     Le peuple d'Israël, à l'époque de Jésus, est très conscient de ce qui fait son identité : la Torah, la Loi, donnée par Dieu à Son Peuple Élu. Pas étonnant que la Loi soit justement la pierre d'achoppement de Jésus avec les Pharisiens… pas étonnant que Jésus, malgré toute son ouverture d'esprit et son esprit critique n'ait pas répondu à l'étrangère…

Oui, mais…

     Mais notre histoire ne s'arrête pas là. Heureusement! Sinon ce serait une invitation à la rupture du dialogue à laquelle je vous inviterai. L'histoire ne s'arrête pas là grâce à la ténacité de l'étrangère, mais aussi et surtout à son art du dialogue. Impressionnante cette femme, je vous le dis.

     En réfléchissant à ce que pouvait bien être les conditions d'un dialogue réussi, je me suis replongée dans la lecture d'un tout petit livre, édité il y a quelques années par « La Main Tendue » : « Écouter, c'est l'Aventure… ». J'ai remplacé les mots « écouter », par celui de « dialoguer » et j'ai été vraiment surprise de voir que tous les conseils qui sont donné dans ce livret ont été scrupuleusement suivis, des siècles auparavant (!) par la Cananéenne. Écoutez plutôt :

  • Dialoguer, c'est risquer: elle apostrophe un homme à qui, normalement, elle n'aurait jamais dû parler. Elle risque et s'en prend plein la figure.
  • Dialoguer, c'est savoir se taire: elle n'en rajoute pas, elle ne répond pas à la provocation, elle ne fait pas la leçon à Jésus en le contredisant. Elle ne met pas d’huile sur le feu.
  • Dialoguer, c'est lui dire avec mes mots ce que j'entends de ses mots : au lieu de s'offusquer, elle reprend les mots de Jésus (les petits chiens, les miettes, la table…) pour les lui retourner.
  • Dialoguer, c'est se laisser toucher: elle est émue et mue par la détresse de sa fille. Et sa compassion lui permet de se dévoiler.
  • Dialoguer, c'est voir au-delà des apparences : malgré les réponses conventionnées de Jésus, elle continue à penser que cet homme est extraordinaire. Elle l'appelle Maître, elle lui fait confiance.
  • Dialoguer, c'est percevoir ce qui n'est pas dit: elle parie sur la compassion qui habite Jésus, au-delà des mots; elle sait, elle sent, que cet homme peut quelque chose pour elle et elle insiste.
  • Dialoguer, c'est ne pas se laisser dominer par ce qu'on a envie de dire : elle ne répond pas vertement à l'homme qui la traite comme une moins que rien; elle ne laisse rien paraître de la colère qui pourrait l'habiter; elle ne tourne pas les talons de désespoir.
  • Dialoguer, c'est accepter de se remettre en question : elle accepte d’être aux yeux de Jésus et des siens différente, étrangère, pas comme les autres. Et elle accepte de ne pas rester murée dans sa différence, mais d’appeler à l’aide celui qui, pour elle, est un étranger.

     La Cananéenne connaît l'art du dialogue, pour sûr, toute femme et minorité muette qu’elle est. Inquiète pour sa fille, elle a su se glisser dans un interstice pour obliger Jésus à agrandir son horizon. Il allait dire « non ». Elle lui dit « oui, mais…. »  Elle a été assez audacieuse pour acquiescer à sa parole, tout en la retournant. Et ce oui appelle le oui de Jésus.

     Il dit « oui » à la Cananéenne, et ce oui l’ouvre à tous les étrangers : à partir de cette rencontre, Jésus comprend que son ministère ne s'arrête pas aux frontières de son pays, de son peuple, mais que sa parole de libération est une parole pour tous les hommes. Elle est ouverture au monde. Elle enverra ses apôtres vers toutes les nations pour en faire des disciples. Nous pouvons remercier cette Cananéenne…

Savoir être une girouette

     L'attitude de Jésus est forcément de la provocation aux yeux des gardiens de la Loi… La loi, c'est le cadre solide qui fait qu'on ne peut pas tomber, la rambarde à laquelle on se tient, durant les périodes mouvantes. Sans la loi, on s'écroule. Mais Jésus ne s'est pas écroulé…

     Je me rappelle d'un jour où, en visite à la synagogue de Lausanne, le rabbin avait dit des protestants (avec beaucoup de respect, mais un brin d'ironie quand même) qu'ils étaient des girouettes, se tournant dans la direction où le vent, la mode, les circonstances, les poussent. Il voulait dire par là, que, contrairement aux Juifs qui s'appuient de tout leur poids sur la Loi et les commentaires de la Loi et les ajouts à la Loi, en toutes circonstances les protestants changeaient d'avis en fonction de l'air du temps. Pas très glorieux comme image!

     Et pourtant je me souviens de la réponse extraordinaire d'un ami à cette remarque : « Monsieur le Rabbin, c'est vrai, nous sommes des girouettes. Mais si vous croyez que c'est l'axe horizontal qui est important dans une girouette, vous faites complètement erreur. Car ce qui est important, c'est l'axe vertical! »

     Et tant que notre axe vertical est fermement ancré en Christ, dans notre foi en Dieu, immergé dans son Amour, nous pouvons tourner notre regard dans tous les sens, le porter vers qui nous voulons, vers quoi nous voulons, nous ne risquons rien. 

     L'axe vertical de Jésus était fermement ancré dans sa relation à son Père et c'est ce qui lui a permis de tourner son regard vers la Cananéenne et de lui dire « oui », sans avoir à s'agripper à la rambarde de la Loi, mais sans tomber non plus.

     Et ce oui de Jésus nous invite au dialogue : avec nous-mêmes, avec nos proches, avec nos compatriotes, avec les étrangers d'ici, et ceux de là-bas…  N'ayons pas peur! Encrons solidement notre girouette dans notre foi en Dieu et tournons-nous avec respect vers les autres, tous les autres, de tous les côtés…

Nathalie Henchoz

Notes

[1] Référence à l’actualité de l’automne 2007 : campagne populiste du mouton noir en Suisse et consultations sur les accommodements raisonnables au Québec.

[2] L’auteur de ce passage nous est inconnu.

[3] Terre Nouvelle regroupe les trois œuvres d'entraide à caractère missionnaire des églises protestantes romandes : PPP, EPER et DM-Echange et mission.

Chronique précédente :
Une Parole que l’on porte et qui nous porte...

 

 

 

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