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chronique du 22 mai 2009
 

Sur la route de Damas
Néhémie 9 -  Actes 26, 9-18

Lire Néhémie 9 et Actes 26, 9-18

Lorsque j'ai lu ce texte de Néhémie, j'ai eu mal! Beaucoup de mal! Pas tellement en raison de ce qui y est dit, des mots qui sont utilisés ou de leur signification possible dans ma vie, mais plutôt en raison des guerres qui déchirent le Proche-Orient depuis de nombreuses années… que ce soit au Liban, en Israël ou en Palestine. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce texte est actuel! Pour une fois, aucun doute sur cette question… mais quelle actualité douloureuse!

     Je ne veux pas vous faire un cours de géo-politique… Mais il me paraît néanmoins utile, pour mieux comprendre, de replacer la prière que Néhémie a lue au peuple d'Israël, dans son contexte.

     Néhémie était un homme, un laïc, qui vivait au temps où Israël était en exile. Un chapitre plus que douloureux pour le peule d'Israël, la première grosse casse de son histoire. À ce moment là, le peuple perd son identité, déporté, perdu au milieu d'autres nations : certains ont dû quitter leur village, leur ville. La région qui était leur pays a été dévastée. D'autres, par contre, sont restés sur place, mais parmi eux se trouvaient aussi quelques-uns des conquérants de leur pays. Mélange difficile à vivre, pluriculturalité impressionnante, perte d'identité… C'est dans cette période troublée que les Hébreux ont été appelé à mettre par écrit leur histoire (encouragés en cela, on ne les remerciera jamais assez, par les Babyloniens). La plupart des écrits bibliques de l'ancien testament datent de cette période. Mais les écrivains d'Israël ne cherchaient pas à écrire un futur manuel d'histoire. Leur but était bien, au travers de cette histoire revisitée, de donner une identité à ce peuple, une identité qui passe par une relation privilégiée avec son Dieu. Et c'est l'histoire de cette relation, telle qu'ils la voyaient du fond de leur exile qui a été rédigée. Avec un accent très important et novateur : la mise en avant clairement du monothéisme : car jusqu'ici, les dieux étaient nationaux, ils ne sortaient pas de leur frontière si ce n'est en temps de guerre, pour aller assujettir le dieu d'un autre peuple. Mais les écrivains d'Israël mettent en avant une autre hypothèse : leur Dieu n'a pas été vaincu, il a laissé faire, en représailles de la mauvaise conduite de ses sujets... En fait, et malgré les apparences, Il est plus puissant que tous les autres Dieu… Il est le seul Dieu!

     Que vient donc faire Néhémie dans cette histoire? Et bien, Néhémie vivait à la cours d'Artaxerxès et était un important fonctionnaire. Il obtint de son maître le droit de se rendre à Jérusalem pour s'y occuper de la restauration politique, économique et sociale de sa patrie. Il arrive dans un pays où l'intégration des exilés de retour dans leur pays ne se fait pas sans mal (il ne faut pas beaucoup d'imagination pour comprendre cela… c'est encore pareil aujourd'hui…) et il va travailler, aux côtés d'autres personnes dont Esdras, pour reconstruire Jérusalem. Le texte que nous avons entendu fait partie de la « liturgie » d'une grande fête religieuse où la loi de Dieu a été rappelée. Le peuple est ensuite amené à relire ou plutôt réécouter son histoire, sous l'éclairage de sa relation à Dieu. Ce texte avait donc une portée politique, bien plus que théologique… Il visait à redonner à un peuple son identité nationale… Et ça a si bien marché, que cette identité est toujours aussi forte, que le peuple juif a réussi à retrouver « son » pays après des centaines d'années… avec les conséquences que l'on sait aujourd'hui…

     Serions-nous capables de relire aujourd'hui notre histoire, en lien avec une relation à Dieu? Je n'en suis pas si sûre. Non pas tellement en raison d'un manque de religiosité dans notre société, mais plutôt parce qu'aujourd'hui, Dieu n'est plus perçu comme un Dieu national, mais comme un Dieu individuel en relation privée avec chacun en particulier (une idée qui était totalement hors de propos au moment du discours de Néhémie, bien sûr, mais aussi à l'époque de Jésus (où le peuple attendait de Dieu qu'Il fasse venir son Christ pour libérer Israël du joug romain… encore une image d'un Dieu national…) et sans doute encore au début du siècle dernier… C'est sans aucun doute un luxe de notre époque (d'autres diraient une tare) que de pouvoir parler d'individualité…

     Notons quand même que dans notre société en perte de repaires (ça ce n'est pas moi qui le dit…) on voit tout de même apparaître deux tendances curieuses : une montée du nationalisme d'une part et un retour à la religiosité d'autre part… Et les tenants de ces deux tendances adaptent le plus souvent Dieu aux besoins de leur cause… Peut-être que finalement le temps de Néhémie n'est pas si loin du nôtre : perte de repaires, perte d'identité, besoin de se retrouver entre semblables et d'exclure ceux qui « ne sont pas comme nous »…

     Somme toute, ce qui m'intéresse moi, c'est de comprendre où ça coince : où est l'articulation qui coince entre ce texte de Néhémie, que je trouve riche, qui me rappelle surtout à quel point Dieu est présent dans ma vie et je m'en aperçois quand je me donne la peine de la relire… un texte qui me procure paix et sérénité… puisse aussi donner lieu à des guerres, des guerres de trop, des guerres toujours atroces, d'autant plus atroces quand des peuples se permettent de s'appuyer sur leur foi pour en détruire d'autre… Qu'est-ce qui me permet à moi, de ne pas lire ce texte de la même manière?

     Lors du conflit entre le Liban et Israël, en été 2006, la route de Damas a été bombardée… On ne pouvait plus aller de Beyrouth à Damas… C'est là, sur la route de Damas justement, que j'ai trouvé le lien qui me manquait…

     Paul était juif… c'était même un homme très pratiquant et très érudit. Un homme à qui les pharisiens promettaient un bel avenir de docteur es religion. Un homme pour qui la loi de Dieu devait être respectée au pied de la lettre… seule condition pour que le peuple d'Israël, sous le joug des romains cette fois, puisse garder son identité et trouver sa liberté… quand Dieu jugera bon d'envoyer son Messie, celui qui fera fuir les Romains et restaurera la toute puissance d'Israël. Paul avait sans aucun doute cette vision nationaliste de Dieu, ce Dieu qui appartenait à son peuple, qui était le plus puissant de tous les dieux de la terre et qui leur avait promis une grande destinée… si tant est que le peuple veuille bien lui rester fidèle…

     Et pourtant ce même homme est celui qui a amené l'évangile aux quatre coins du monde (du moins du monde connu à cette époque…), qui a proclamé un Dieu d'amour et de paix, cherchant une relation particulière avec chacun... souhaitant accompagner l'histoire de chacun… C'est sur la route de Damas justement, que le changement de Paul est survenu. Il a été frappé par une « bombe divine »… on dira ça comme ça…

     Savez-vous qu'il existe trois récits de la conversion de Paul dans les Actes des apôtres? L'auteur du livre des actes raconte d'abord les faits comme ont dû les percevoir les premiers chrétiens, puis il met deux fois ce récit dans la bouche de Paul  lui-même, s'expliquant devant les autorités locales. Comme souvent dans la Bible, chacune des trois versions est légèrement différente des deux autres : une fois les compagnons de Paul voient la lumière mais n'entendent rien, l'autre fois, ils entendent, mais ne voient rien et la troisième fois,  ils tombent tous à terre… Des variantes qui laissent tout de même l'impression qu'un événement important a eu lieu. Et quel événement, puisqu'il s'agit de la rencontre de Paul avec Jésus Christ, avec Dieu lui-même! Quel que soit le décor, le cœur de cette rencontre a bouleversé la vie de Paul, suffisamment pour lui faire tenir un discours totalement différent, suffisamment pour lui faire annoncer Dieu au delà des frontières de son pays (et ça n'a pas été sans mal…), pour faire exploser ce Dieu nationaliste en un Dieu père de toute l'humanité.

     Je me suis dit qu'au cœur de cette rencontre devait se cache la clé du mystère! Parce que, vous serez sans doute d'accord avec moi, Paul n'a pas changé de Dieu : le Dieu de l'ancien testament et le Dieu de Jésus-Christ sont bel et bien le même… c'est la perception que Paul a de Dieu qui a changé en rencontrant le Christ…

     Un élément m'a tout particulièrement frappée dans la lecture de ce récit, un élément qui peut paraître anodin, mais qui est d'une importance capitale. Quand Paul tombe à terre, frappé par cette lumière plus éclatante que la lumière du soleil dit-il, il entend d'abord la voix du Christ qui l'appelle par son nom : « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? », le temps de comprendre à qui il a à faire, Paul est toujours à terre, prosterné… on le serait à moins… Mais avant que Jésus dise à Paul ce qu'il attend de lui, Il lui dit : « Relève-toi et tiens-toi debout. »… Relève-toi et tiens-toi debout !… Ca n'a l'air de rien… et pourtant!

     Quand un sujet rencontrait son roi, il se tenait prosterné devant son supérieur, tandis que l'autre était soit assis sur son trône, soit debout, mais dans tous les cas, situé largement au-dessus de son sujet. La distance, ou plutôt la hauteur entre le regard de l'un et le regard de l'autre exprime plus que toute la différence de niveau social, de hiérarchie. Aujourd'hui, il y a les escaliers en haut desquels se tient le chef d'Etat attendant ses visiteurs… À l'opposé, être debout l'un en face de l'autre, les yeux dans les yeux, est synonyme d'égalité. Regarder quelqu'un debout en face à face, c'est aussi lui laissé sa dignité d'homme qu'on ne peut opprimer. Regarder quelqu'un debout face à face, c'est aussi le voir « en entier », de pied en cap disait-on, et ne pas le limiter à une partie de lui-même que ce soit un morceau de papier (appelé d'identité) ou son emprunte digitale ou un éclat de son œil… Regarder quelqu'un debout, face à face, c'est l'accepter tel qu'il est… Avant d'envoyer Paul en mission vers les autres hommes, Jésus lui demande de se mettre debout face à lui. Le Christ ne veut pas d'un témoin opprimé, obéissant peureusement à son supérieur, mais il veut un témoin dont la dignité est respectée, il veut une relation privilégiée avec cet homme.

     Et dans cette rencontre, d'homme à homme… ou plutôt d'homme à Dieu, Paul découvre en ce Dieu qu'il pensait justicier, vindicatif, nationaliste… un Dieu proche, respectueux, humble, un Dieu père et un Christ frère…

     Vous me direz que c'est là tout le centre du nouveau testament… eh oui! Notre Dieu est un Dieu d'amour, un Dieu qui nous aime et qui nous respecte, un Dieu qui souhaite une relation privilégiée avec chacun des hommes, des femmes et des enfants qui composent l'humanité. « Mes amis, si c'est ainsi que Dieu nous a aimé, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Personne n'a jamais vu Dieu; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour se manifeste parfaitement en nous. »… ce n'est pas de moi… c'est dans la Bible… et plus précisément dans la première Épître de Jean, au chapitre 4… Non seulement, Dieu nous regarde en face à face, respectant pour toujours la dignité des hommes, par amour… Mais Il nous demande de faire de même à l'égard des autres… Nous croyons que Dieu nous aime? Nous croyons qu'Il demeure en nous? Alors luttons pour la dignité de nos frères et sœurs en Christ…

     Dieu accompagne toujours les hommes dans leur histoire. Il est toujours le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, celui qui a libéré son peuple du pays d'Egypte. Il est toujours le Dieu puissant, le Dieu de la promesse, le Dieu de l'espérance… comme dans la prière de Néhémie. Mais il est aussi le Dieu de la rencontre, le Dieu qui veut l'homme debout, digne, tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants de l'humanité. Il est le Dieu père, le Dieu qui aime au-delà de tout…

     Ceci dit, il n'est pas interdit d'aimer son pays… Mais aimer mon pays, en tant que disciple du Christ, c'est d'abord aimer et respecter chaque personne qui en fait partie, c'est donner le droit à tous ceux qui y habitent de me regarder dans les yeux, debout en face à face. C'est de refuser tout ce qui peut avilir ou asservir l'autre. C'est de refuser que quiconque y soit traiter comme inférieur ou vaincu ou non-digne…  Et à l'heure où la mondialisation appauvrit les uns et opprime les autres, mon pays, c'est une certitude, devient le monde entier… Alors, aimer mon pays, c'est vouloir que le regard que le Christ a poser sur Paul soit le modèle des regards que j'échange avec mes frères et sœurs en humanité, ici et partout…

Nathalie Henchoz

Chronique précédente :
Entre deux rives

 

 

 

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