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chronique du 22 octobre 2010
 

Ruth : une fidélité indéfectible

Ruth

Ruth
Gertrude Crête, SASV
encres acryliques sur papier, 2000
(photo © SEBQ) 

Le livre de Ruth constitue sans aucun doute une des plus belles œuvres romanesques de la Bible. Ce petit récit de 85 versets offre une perspective d’ouverture et de confiance en dépit des revers comme le laisse présager le nom des personnages. Un homme, Élimélek (Dieu est roi), quitte Bethléem afin de fuir une famine dans le pays. Il amène sa femme Noémi (douceur), ses fils Mahlôn (maladie) et Kilyôn (fragilité) dans la campagne de Moab, un pays voisin. Ils y séjournèrent assez longtemps pour que les deux fils décident d’épouser des Moabites : Orpa (dos ou nuque) et Ruth.

     Habituellement traduit par amie, il n’est pas impossible que le nom de Ruth emprunte également aux racines de la langue moabite. Si cela s’avère, le nom de Ruth correspond bien au contexte du livre puisqu’il ferait référence à une offrande, et par extension à une obligation permanente [1]. Selon cette hypothèse, le nom de Ruth résumerait, à lui seul, le déroulement du livre par la fidélité offerte à Noémi et celui du respect des règles de solidarité.

Un magnifique parcours

     Élimélek et ses fils meurent. Privées de soutien, Noémi choisit de retourner en Israël pour recevoir du pain (on constate ici le jeu de mot avec Bethléem – la maison du pain). Noémi recommande à ses brus de retourner dans leur famille. Orpa opte pour cette solution, mais Ruth choisit de rester en Israël, malgré la coutume obligeant une femme à rentrer dans sa famille dans une telle situation [2]. Elle glane dans les champs de Booz, un parent d’Élimélek, comme l’autorise la loi (Dt 24,19-21), afin d’assurer sa survie.

     Booz la reconnaît à cause de la bienveillance de Ruth à l’égard de sa belle-mère (Rt 2,1-12). Encouragée par Noémi, Ruth accepte d’épouser Booz en vertu de la loi du lévirat [3] (Dt 25,5-10; Rt 4,5-7) et celle du rachat [4] (Lv 25,47-49). Booz exerce son droit puisque d’autres y renoncèrent compte tenu de l’irrégularité de Ruth (veuve, étrangère et convertie). Dans le récit, celle-ci devient l’aïeule du roi David (elle donne naissance à Obed, le père de Jessé). Ainsi Ruth, la Moabite, malgré son statut d’étrangère, poursuit un parcours exemplaire en respectant les règles solidaires du yahvisme.

Une critique des lois religieuses

     Le livre de Ruth se veut une critique subtile mais sévère de la réforme d’Esdras qui interdit les mariages mixtes pour des raisons de pureté afin d’éviter un nouvel exil (voir Esd 9,1-10,44)! Cette reforme oppose le peuple du pays, les gens qui sont demeurés dans la région et avec qui plusieurs israélites ont contractés un mariage, avec les israélites « purs »! Ce récit représente une ironie qui conteste avec force une théologie réductrice puisque le personnage de Ruth, la Moabite, devient un modèle pour tout le peuple d’Israël. Par son attitude et son comportement, elle se révèle plus juste et plus respectueuse de Dieu que le peuple [5].

Un héritage subversif

     La figure de Ruth est mentionnée au cœur du Second Testament plus spécifiquement dans l’évangile de Matthieu. Cette mention du récit de Ruth, laisse poindre l’indice d’une controverse semblable à celle d’Esdras au sein des communautés chrétiennes naissantes : la difficulté d’accueillir la portée universelle du message évangélique. Pour l’illustrer, l’évangéliste insère le personnage de Ruth l’étrangère dans la généalogie de Jésus [6]. Ainsi, par la présence de femmes étrangères, Matthieu affirme que l’évangile s’adresse à toute personne peu importe, son genre, sa classe sociale ou son appartenance culturelle (Ga 3,28).

De la mort à la vie

     Le livre de Ruth exprime la conviction que la foi est tout une attitude d’accueil, de d’ouverture et de confiance envers la vie. En effet, d’une situation tragique et désespérée, Dieu, dans le récit, la transforme en joie et en promesse d’avenir. Ce retournement heureux s’enracine dans le choix d’une femme, Ruth, qui malgré la culture ambiante, préféra se solidariser avec une autre femme Noémi. Ruth créa une brèche afin d’y accueillir pleinement la vie. Ce procédé littéraire est bien résumé par Aldina da Silva :

Dans ce petit livre, les femmes du village en général et les voisines en particulier sont sympathiques, accueillantes et compatissantes. Du début à la fin du récit, elles sont émues par le destin extraordinaire de Noémi. Tandis que les hommes, à l’exception de Booz, éprouvent des sentiments plus ou moins hostiles à l’égard de Ruth, les femmes, au contraire, comprennent toute la richesse de cette femme : elle « vaut mieux que sept fils » [Sept fils représente la quintessence de la bénédiction divine], disent-elles à Noémi (4,15). Les femmes jouent donc un rôle stabilisateur dans la société. Ceci est voulu par l’auteur : les hommes, bien plus conservateurs que les femmes, représentent la rigidité des lois décrétées par Esdras. Ils sont figés dans leur idéologie. Il n’y a pas d’ouverture à l’inattendu. Les femmes, plus intuitives, laissent de la place à la créativité. Elles acceptent l’étrangère sans se poser de questions. Certes, on peut toujours présenter l’exemple de Booz. Il a reconnu la fidélité de Ruth, mais il doit être poussé par elle et par Noémi à se surpasser. Sans le « coup de main » de ces deux femmes., il n’accueillerait pas l’impensable. [7]

     Cette ouverture et cette créativité ne sont-elles pas constantes dans l’histoire des femmes, de l’époque biblique jusqu’à aujourd’hui? Le témoignage de Ruth nous indique que malgré les difficultés, il importe toujours d’espérer en de meilleurs lendemains.

Dans cet article, nous nous inspirons du livre d’Aldina da Silva, Ruth, Montréal, Médiaspaul, 1996.

[1] Ernst Axel Knauf, « Ruth la Moabite », Vetus Testamentum, 4 (1994), 547-548.

[2] À l’époque, les femmes sont tributaires de la famille. Sans existence légale, elles appartiennent au père ou au mari. Elles dépendent totalement, sur le plan matériel et social, des hommes de la famille et du clan. Sans le soutien masculin, elles sombrent dans la pauvreté et l’exclusion d’où les prescriptions cherchant à maintenir une solidarité minimale (Ex 22,21-23; Dt 10,18 et 24,19).

[3] Cette règle stipule qu’un beau-frère doit prendre pour épouse la veuve si le défunt n’a pas laissé de descendance.

[4] Cette règle permet de racheter un membre de la famille indigent afin de le libérer de l’esclavage.

[5] Alice L. Laffey, An Introduction to the Old Testament. A Feminist Perspective, Minneapolis, Fortress Press, 1998, pp. 207-209.

[6] Il convient de souligner que le procédé catéchétique de Matthieu insiste sur l’ouverture aux autres puisque ce sont les mères qui assurent, depuis l’Exil, de façon héréditaire, l’appartenance au judaïsme.

[7] A. da Silva, op. cit., 70.

Patrice Perreault

Chronique précédente :
L’Annonciation ou le miracle de l’accueil

 

 

 

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