Dina , de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).

Dina ou le dernier procès

Anne-Marie ChapleauAnne-Marie Chapleau | 1er novtembre 2021

Lire : Genèse 30,21 ; 34,1-31 et 46,15

Les rebondissements se succèdent rapidement dans l’histoire de Dina racontée en Genèse 34. Mais peut-on vraiment parler de « l’histoire de Dina », alors qu’elle n’en est même pas une vraie protagoniste? Le récit de sa naissance, bien mince, annonçait déjà qu’elle ne compterait pas trop : « Ensuite, elle [Léa] mit au monde une fille et l’appela Dina. » (Gn 30,21) Pas de louange adressée par Dieu, pas d’explication sur le nom qui lui est donné comme pour ses douze frères ou demi-frères. Rien. Sa naissance à elle ne  permettait pas à sa mère de gagner des points dans la compétition qu’elle livrait à sa sœur cadette Rachel, la seconde épouse légitime de Jacob, pour savoir laquelle obtiendrait les grâces de celui-ci à force de lui donner des enfants ou même de lui en faire faire par ses servantes.

#MeToo 

Quatre chapitres plus loin, on retrouve Dina devenue jeune fille. Elle prend alors la seule initiative racontée dans le texte : elle va voir les filles du pays de Sichem. Fondée par un certain Hamor, cette  ville de Canaan allait être un jour, pour un certain temps, la capitale du Royaume du Nord. Mais, pour l’instant, Sichem, renvoie surtout au nom du fils d’Hamor. Mais oui, ce dernier a choisi pour son fils le nom de sa ville qui, curieusement, signifie « épaule » ou « nuque ».

Pour son malheur, Dina croise Sichem qui, après l’avoir vue, l’enlève, la viole et la violente. Il suffit d’un verset  (34,3) pour raconter comment Dina a rejoint les innombrables femmes de toutes les époques qui ont eu, ont ou auront à subir des violences sexuelles. Et comme beaucoup d’entre elles, elle sera vite avalée par un système sur lequel elle n’aura aucune prise.

Le premier procès

Si le verset 3 enchaînait à toute vitesse les actions brutales de Sichem, le verset 4 suit le même rythme trépidant pour décrire… Décrire quoi, au juste? Un retournement, une conversion? Un changement, en tout cas. Son « âme » (en hébreu sa nephesh), autrement dit lui-même considéré dans sa dimension essentielle d’être vivant animé d’un souffle, s’attache soudainement à Dina. Il l’aime, il parle à son cœur. Il semble s’être absous lui-même du tort causé à sa victime et trouver légitime de décider de son sort : elle sera son épouse. Il en convainc son père.

Le second procès

Entretemps, Jacob a appris le drame, mais se réfugie dans le silence en attendant le retour de ses fils Siméon et Lévi, les frères de sang de Dina, comme s’ils leur revenaient de droit de traiter cette affaire. Et ils la traiteront en effet, mais à leur manière. Pour eux, la seule réponse possible à cet affront est la vengeance. Le seul argument qu’ils entendront jamais est leur propre colère. Ils ne s’embêteront pas de demander à Dina ce qu’elle peut bien en penser. L’écorchure infligée à leur honneur leur est intolérable. Car, même s’il est question à quelques reprises du déshonneur de Dina, n’est-ce pas avant tout le leur qui compte? Vengeance donc, il y  aura, et des plus sanguinaires, car elle s’étendra à tout le clan de Sichem et d’Hamor. Et elle empruntera les voies de la ruse pour s’exécuter.

Hamor et Sichem négocient, en même temps que le mariage, une alliance entre les deux clans. Les frères font mine d’accepter le marché, mais imposent la circoncision aux hommes de Sichem. Affaiblis, ceux-ci n’offriront aucune résistance à Siméon et Lévi quand ceux-ci viendront les passer au fil de leur épée. Leurs femmes et les enfants seront capturés, leurs biens pillés. Et Dina sera récupérée de la maison de Sichem comme un vulgaire colis. Et les craintes de Jacob seront balayées du revers de la main.

Le dernier procès

Fin de l’épisode. Mais peut-être pas. Le nom de Dina, qui signifie « procès », ne serait-il pas une invitation faite à quiconque lit ce texte à évaluer lui-même la situation? En montrant sans fard la violence d’Hamor, sa passion pour Dina, la démission de Jacob, la ruse mensongère de Siméon et de Lévi et le déferlement de leur violence et, également, l’absence totale de Dieu, encore moins pris en compte que Dina, n’expose-t-il pas les « preuves » d’un procès qui reste à faire? S’engager dans ce dernier procès, c’est accepter que soient révélées les accointances de son propre cœur.

Anne-Marie Chapleau est bibliste et professeure à l’Institut de formation théologique et pastorale de Chicoutimi (Québec).

ivoire phénicien

Au féminin

Lors du lancement de cette rubrique, trois femmes, fondatrices du groupe de recherche ECPB (Entre contes, psychanalyse et Bible) et vivant à Fribourg (Suisse), nous offraient une lecture symbolique qui jette un regard œcuménique et transdisciplinaire sur la Bible. Les textes plus récents mettent en valeur des personnages féminins de la Bible à partir d’œuvres d’art (Gertrude Crête et des artistes classiques) et de photographies de Dikla Laor.