INTERBIBLE
Une source d'eau vive
la lampe de ma vie bible et culture coups de coeurau fémininjustice socialeRencontres de foi
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Justice sociale
  image
Imprimer
chronique du 9 mai 2008
 

La crise alimentaire mondiale :
une question de droit, non de charité

Émeutes en Haïti

Récentes émeutes en Haïti
(photo : Reuters)

Depuis quelques semaines, des émeutes de la faim se multiplient en Asie, en Afrique ou Caraïbes. En huit jours, 37 pays ont connu de tels soulèvements. Le milliard d’être humains les plus pauvre de la planète qui vivent avec un dollar ou moins par jour se voient réduits à la famine. Les prix des aliments de base ont explosé à cause de la spéculation boursière, des investissements destinés aux biocarburants et des politiques agricoles du Fonds monétaire international, centrées sur les cultures d’exportation plutôt que sur l’autonomie alimentaire.

     GENÈVE, 28 avril -- Jean Ziegler, rapporteur spécial  des Nations Unies sur le droit à l'alimentation, a proposé  d'imposer un moratoire de cinq ans sur les biocarburants et de  briser la spéculation afin de maîtriser l'augmentation des prix alimentaires. 

     « En un an, le prix du blé a augmenté de 130%, le prix du riz de 74%, le prix du soja de 87%, et celui du maïs de 53% ». L'augmentation générale de 48% des prix alimentaires, telle qu'évaluée par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), vient frapper les pays les plus pauvres. 2,2 milliards de personnes, soit le tiers de l'humanité, vivent dans l'extrême pauvreté ou en dessous du minimum vital et  ne peuvent pas payer ces prix sur le long terme.

     La transformation massive d'aliments en  biocarburants est la principale cause de cette crise. Il y a aussi  la spéculation qui serait responsable de 30% de l'augmentation des prix.  Enfin le Fonds monétaire international (FMI), qui a imposé la plantation de produits destinés à l'exportation, favorisant ainsi le déclin de l'agriculture de subsistance.  

     « L'Union Européenne finance l'exportation d'excédents alimentaires européens en Afrique, où ils sont proposés à la moitié ou un tiers du prix. Cela ruine totalement l'agriculture africaine. » Les États-Unis, l'OMC, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) « ne reconnaissent pas le droit à l'alimentation » et veulent régler ce fléau par le marché.

Jacques Diouf directeur général de l’Organisation pour la nourriture et l’agriculture des Nations Unies (FAO)

     Garantir à chaque être humain une alimentation adéquate et régulière ne constitue pas seulement un impératif moral et un investissement pouvant se traduire par des gains économiques énormes: c'est l'accomplissement d'un droit humain fondamental. Le monde a les moyens pour le réaliser.

Déclaration universelle des droits de l’Homme, article 25

Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

Texte biblique

En ce temps-là, une grande foule s'était de nouveau assemblée. Comme elle n'avait rien à manger, Jésus appela ses disciples et leur dit : « J'ai compassion de ces gens, car voilà trois jours qu'ils sont avec moi et ils n'ont plus rien à manger. Si je les renvoie chez eux le ventre vide, ils se trouveront mal en chemin, car plusieurs d'entre eux sont venus de loin. » Ses disciples lui répondirent : « Où pourrait-on trouver de quoi les faire manger à leur faim, dans cet endroit désert ? » Jésus leur demanda : « Combien avez-vous de pains ? » Et ils répondirent : « Sept. » Alors, il ordonna à la foule de s'asseoir par terre. Puis il prit les sept pains, remercia Dieu, les rompit et les donna à ses disciples pour les distribuer à tous. C'est ce qu'ils firent. Ils avaient encore quelques petits poissons. Jésus remercia Dieu pour ces poissons et dit à ses disciples de les distribuer aussi. Chacun mangea à sa faim. Les disciples emportèrent sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient. Or, il y avait là environ quatre mille personnes. Puis Jésus les renvoya. (Marc 8)

Les pauvres mangeront et seront rassasiés ! (Ps 21, 7)

     La crise alimentaire ne date pas d’hier ; elle est bien reflétée dans les évangiles. La faim règne sur les terres d’Hérode et de Caïphe. Sous l’emprise de Rome, de grandes propriétés se sont constituées aux dépens des petits propriétaires paysans. Hérode domine la Galilée et le chômage généralisé oblige les paysans sans terres à se tenir sur la place du village en attente d’un emploi de journalier. Ceux qui ont accaparé les terres sont les gens d’Hérode en Galilée ainsi que les Sadducéens et les grands prêtres de Jérusalem qui possèdent d’immenses territoire consacrés à la culture du blé, des oliviers et surtout au bétail destiné à être sacrifié dans le Temple. Dans le marché situé dans la première enceinte du Temple, on vend les animaux quinze fois plus cher que dans les marchés des villages. Il n’y a rien de trop beau pour le bon Dieu !

     Dans la Tora de Moïse, la terre appartient à Dieu ; on ne peut la posséder. Chaque paysan aura droit à son lopin et pour empêcher l’endettement et la perte de son usage, Moïse avait prescrit que tous les 7 ans, toutes les dettes seraient remises et aux 7 fois 7 ans, à la cinquantième année, une réforme agraire redistribuerait les terres aux paysans dépossédés. Lorsque l’on demanda à Jésus s’il fallait payer l’impôt à l’empereur romain, il répondit : « Rendez à César ce qui appartient à César… » c’est-à-dire son or, « et rendez à Dieu ce qui appartient à Dieu… » c’est-à-dire la terre usurpée. Jésus ne rendra pas visite à César Auguste !

     La faim des pauvres est au cœur du message des prophètes et spécialement de Jésus qui met le doigt sur les causes comme l’on fait ses prédécesseurs. Isaïe, par exemple, disait : « Quel malheur de voir ces gens qui ajoutent une maison à une autre et annexent champ après champ! À la fin, ils ont pris toute la place, il n'y a plus qu'eux dans le pays. » Il proclamera le jugement de Dieu sur cette société inégalitaire : « J’avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’avais soif et vous ne m’avez pas donné à boire. » La faim est causée par les pasteurs (lire les rois, les chefs, les autorités) qui laissent périr les brebis. Quand il voit une foule affamée, Jésus est pris aux entrailles (n’est-ce pas là, dans le ventre, que la faim tenaille?) « J'ai compassion de ces gens, car voilà trois jours qu'ils sont avec moi et ils n'ont plus rien à manger. »

     Les disciples ont appris que pour manger, il faut de l’argent. « Renvoie ces gens pour qu'ils aillent dans les fermes et les villages des environs acheter de quoi manger. » Dans nos sociétés, seuls ceux et celles qui peuvent acheter, peuvent manger. Mais pour Jésus, le pain est un droit inaliénable. « Donnez-leur vous-mêmes à manger! » C’est un commandement solennel, fait à tous les disciples que nous sommes. Ils insistent ne pas avoir d’argent. Cinq pains et deux poissons! Jésus bénit Dieu et partage la nourriture; ils mangèrent tous et furent rassasiés.
Le Royaume annoncé par Jésus sera marqué par l’abondance pour tous et toutes. L’économie formelle représentée par les propriétaires terriens exclut les masses, la grande majorité. Hérode et sa clique de militaires, de gros propriétaires et son harem fêtent dans l’abondance des riches : vins, musiques, danses érotiques, plaisirs raffinés et le plat de résistance de leurs banquets, c’est la tête du prophète présentée aux convives. On ne veut pas de trouble-fêtes.

     En enseignant à partager le pain, qui ne peut être une marchandise comme une autre, Jésus propose une économie faite de relations entre les personnes et non pas une économie de marché qui transforme les besoins fondamentaux en marchandises qu’il faut acheter : l’eau, le pain, la santé, l’éducation. Personne n’est exclu de la table de vie. « Pourquoi mange-t-il avec les collecteurs d'impôts et les gens de mauvaise réputation ? » Dans la nouvelle économie, tous auront accès à la table de l’humanité. Preuve de cela, c’est que l’évangile de Marc, de Matthieu et de Luc reprennent le même récit par deux fois au plein centre du message. Deux fois où Jésus fait partager le pain et les poissons, du côté juif et du côté païen du lac de Galilée. Rassasier la faim des peuples est la priorité du Père de Jésus.

     Lors de la traversée du lac qui suit cet épisode, Jésus doit calmer la tempête : « Ils étaient plus stupéfaits qu’ils ne l’avaient jamais été. Déjà ils n’avaient rien compris à l’affaire des pains. C’est qu’ils avaient le cœur endurci. » Comment faire croire aux gens d’aujourd’hui que cette économie de marché mondialisée qui crée la famine et concentre les aliments aux mains de deux ou trois géantes compagnie d’alimentation, que tout cela doit être détruit pour que les peuples puissent vivre. Comment pouvons-nous tolérer que dans un monde qui produit tant de nourriture deux milliards d’humains n’aient pas accès à un minimum de céréales, sans parler du reste. C’est un scandale épouvantable. Oh! oui, nous ne comprenons rien à l’affaire des pains et notre cœur est endurci.

     Lorsqu’il montera à Jérusalem pour s’emparer du Temple et le nettoyer de ses commerçants et banquiers véreux, il annoncera la fin de ce régime d’exploitation. C’est dans ce contexte de la Pâques, fête de la libération d’Israël, qu’il nous laissera un testament fondamental : « Pendant le repas, Jésus prit du pain et, après avoir remercié Dieu, il le partagea et le donna à ses disciples ; il leur dit : "Prenez ceci, c'est mon corps." Il prit ensuite une coupe de vin et, après avoir remercié Dieu, il la leur donna, et ils en burent tous. Jésus leur dit : "Ceci est mon sang, le sang qui garantit l'alliance de Dieu et qui est versé pour la multitude." » Donner sa vie pour que les masses appauvries puissent vivre. Partager, donner… sans exclusions. Ils en burent tous, même Judas et Pierre, les traîtres, les disciples, hommes et femmes, qui l’avaient suivi depuis la Galilée.

      Je me demande souvent, et particulièrement au moment où se prépare un grand Congrès eucharistique à Québec, si, par nos messes, nous faisons vraiment mémoire de ce Jésus-là. Nous avons fait de la table ouverte à l’humanité un rituel de dévotion célébré en toute hâte en évacuant trop souvent la dimension du partage des richesses, du pain dans la vie réelle. En faisant cela, je me demande si nous ne mangeons pas notre propre condamnation, pour reprendre les mots de Paul. Tant que sur cette terre de Dieu se trouvera un enfant affamé, nos eucharisties ne seront pas complètes. Jésus ne nous invite pas à l’aide humanitaire ni à une charité condescendante; il nous invite à un royaume de justice. C’est ce qu’il nous a demandé : « Faites ceci en mémoire de moi. »

Claude Lacaille

 

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Au pays des sans-terre

 

 

 

| Accueil | SOURCE (index) | Justice sociale (index) | Vous avez des questions? |

www.interbible.org