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Justice sociale
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chronique du 24 octobre 2008
 

Panique sur les places boursières

Dollar US

La panique a été planétaire, les investisseurs voyant la crise bancaire prendre plus d'ampleur en Europe et craignant une récession mondiale. Aux États-Unis, le plan de sauvetage de 700 milliards s'est timidement mis en branle alors que la Réserve fédérale gonflait ses facilités de crédit à 900 milliards afin d'éviter que le marché du crédit ne s'assèche complètement. (Le Devoir, mardi 7 octobre 2008)

La lassitude guette les pays donateurs

     On est en pleine lassitude de l’aide dans les pays développés… Il est clair que dans beaucoup de pays, les gens doutent beaucoup de l’efficacité de l’aide, ont le sentiment d’avoir déjà trop donné dans le passé… Il manque donc 35 milliards de dollars par an pour respecter les promesses internationales. Si rien ne change, la plupart des pays en développement n’atteindront pas la plupart des objectifs du millénaire. (M. François Bourguignon, ancien économiste en chef de la Banque mondiale; extraits : Le Devoir, 20 septembre 2008).

La parabole des talents : Matthieu 25, 14-30

C’est aussi cet homme qui part au loin. Il fait venir ses esclaves et leur confie ses biens. A l’un, il remet cinq talents, à l’autre deux, à l’autre un seul, suivant les aptitudes de chacun. Puis il s’en va.

Après son départ, l’homme au cinq talents se met au travail, et les cinq talents en rapportent cinq. De son côté, l’homme aux deux talents en tire deux. Son maître parti, l’homme d’un seul talent creuse un trou dans le sol où il cache l’argent qu’on lui a confié.

Le temps passe, le maître est de retour auprès de ses esclaves. Voici venue l’heure des comptes. L’homme aux cinq talents s’avance et lui remet le produit de cinq talents. « Maître, dit-il, tu m’as confié cinq talents. Je te remets les cinq autres talents que j’en ai tirés. » Le maître répond : « C’est très bien. Tu es un bon esclave, et fiable. Avec peu de chose, tu t’es montré digne de confiance; te t’en confierai beaucoup. Participe à la joie de ton maître. »

L’homme aux deux talents s’avance à son tour. « Maître, dit-il, tu m’as confié deux talents. Je te remets les deux autres talents que j’en ai tirés. » Le maître répond : « C’est très bien. Tu es un bon esclave, et fiable. Avec peu de chose tu t’es montré digne de confiance; je t’en confierai beaucoup. Participe à la joie de ton maître.

L’homme d’un seul talent s’avance enfin. « Maître, dit-il, je connais ta dureté. Tu veux récolter sans avoir semé. Et ramasser sans avoir jeté. J’ai donc pris peur. Après ton départ, j’ai enfoui dans le sol le seul talent que tu m’as donné. Le voici. Je te rends ce qui t’appartient. »

Le maître répond : « Esclave, ton cœur est mauvais, et tu es un fainéant! Tu sais que je veux récolter sans avoir semé, et ramasser sans avoir jeté. Il fallait confier ton argent aux prêteurs. A mon retour, j’aurais récupéré capital et intérêts. Qu’on lui reprenne son talent et qu’on le donne à celui qui en a dix! Car celui qui a recevra en abondance. Mais au démuni le peu qu’il a sera enlevé. Quant à cet esclave bon à rien, jetez-le dehors dans la nuit noire où ne sont que plaintes et grincements de dents. »

Commentaire

     C’est à cette parabole que j’ai tout de suite pensé en voyant l’affolement sur les parquets des bourses et comment, en un clin d’œil, le gouvernement de Bush à trouvé quelques mille milliards de dollars pour sauver de la faillite d’institutions financières irresponsables et corrompues, alors que près d’un million de petits épargnants perdaient leur maison dans cette crise des prêts hypothécaire. Et comme par ironie, au même moment, on déplore à l’ONU que les pays riches, engagés en l’an 2000 à réduire de moitié la pauvreté avant 2015, sentaient une lassitude de trop aider les pays pauvres! Il manquerait 35 milliards pour atteindre les objectifs du millénaire qu’ils s’étaient fixés. Le Canada a lui seul a prévu 18,3 milliards pour la guerre en 2008-2009; la moitié de ce qu’il faudrait pour réduire la pauvreté de 50% avant 2015.

     Réfléchissons sur la parabole à la lumière de cette crise financière! Elle nous parvient ici dans un texte rédigé par Matthieu qui place cette histoire dans le contexte du retour de Jésus. Le maître s’est absenté longtemps et il vient juger ses serviteurs. Les lecteurs, qui ne connaissaient plus le contexte dans lequel Jésus avait raconté cette histoire ont pris l’habitude de généraliser son application : tous condamnent ce serviteur paresseux! Il a refusé de prendre des risques pour augmenter la richesse de son maître; il n’a pas sa place dans la société. Voici un maître magnanime qui récompense les bons et punit les méchants. Tout comme Dieu, quoi!

Mais quelle résonnance avait cette parabole dans la bouche de Jésus qui s’adressait à des paysans et paysannes de Galilée? Essayons d’y voir de plus près.

     Voyons d’abord la scène. Il s’agit d’une maison de l’élite urbaine au premier siècle, non pas une maison paysanne, mais une grande maison qui produit de beaucoup de richesse et qui contrôle les villages et les terres des alentours pour les récoltes, l’entreposage, la redistribution sur les marchés locaux ou l’exportation. C’est là où se réalise le commerce et où se concentre la richesse.

     Un noble aristocrate doit voir lui-même à développer ses relations d’affaires, siéger à la cité pour défendre ses intérêts, créer des réseaux de clientèle, faire du lobbying auprès des autorités de l’empire. Il s’absente souvent à l’étranger et doit confier à des bureaucrates l’administration de sa maison. Il les choisit selon son bon plaisir et ceux-ci doivent servir ses intérêts.

     Dans la première scène apparaît un grand patron qui voyage à l’étranger et possède des serviteurs qui s’occupent de ses affaires. Il confie des responsabilités à chacun selon leur pouvoir et leur rang. Il s’agit du cercle intime de ses administrateurs de confiance.

     Il est à noter que sa richesse ne consiste pas seulement en possession de terres ou de biens, mais d’argent liquide, de monnaie. Plus les administrateurs prendront des risques, plus les profits seront juteux! Leur zèle s’explique bien durant la longue absence du patron : ils devront faire fructifier les intérêts du patron et doubler la somme, mais ils devront aussi prendre leur part de profit. Ils marchent sur une corde raide : ils prennent soin de garder le maître de bonne humeur en lui donnant de bons rendements et ils ne doivent pas attirer l’attention en affichant trop leurs propres gains. C’est un équilibre à garder.

     Les élites prêtaient aux petits paysans pour qu’ils puissent semer. Les taux d’intérêts étaient prohibitifs : 60% ou même 200% lors des récoltes. Quand les paysans ne pouvaient payer, ils saisissaient leurs terres. Les deux premiers administrateurs sont voraces : ils ont doublé le capital par des prêts usuraires. Les paysans qui écoutaient Jésus pouvaient facilement mettre des noms sur ces personnages. En Galilée, zone agricole très riche, on avait vu se constituer de très grandes propriétés aux mains de la clique d’Hérode. Les petits paysans avaient dû souvent céder leurs terres à cause le l’endettement et étaient devenus des travailleurs journaliers qui attendaient sur la place qu’un grand seigneur viennent les engager dans ses champs.

     L’heure des comptes arrive. Les deux premiers ont fait 100% de profit. Ils seront récompensés par des promotions de poste. Personne ici ne pense à l’origine de ces profits ni à leurs victimes. Seulement 2% de la population formait alors la classe riche. Ils sont invités à partager la joie du maître, c’est la fête.

Le focus de cette parabole est mis sur le troisième serviteur.

     On s’attendrait à ce qu’il ait agit comme les autres. Il fait partie des proches du maître. Il a pris, bien sûr, le meilleur moyen pour mettre l’argent de son maître à l’abri des voleurs, en enterrant la somme. C’est un homme prudent et sobre.

     Mais son discours est totalement inattendu : il démystifie tout ce système économique ignoble. L’aristocrate qui est son maître est un homme cruel, exigeant, dur et sans compassion. Il humilie son maître devant les autres. Il le décrit comme un exploiteur qui vit du travail des autres. Il prend la part du lion des récoltes que d’autres ont plantées. Et tout cela pour faire la fête avec les élites de la cité comme on le voit lors du banquet d’Hérode. Voilà une brutale dénonciation de l’exploitation des paysans par ces grands propriétaires. Voici un jugement prophétique et il remet le talent qu’il avait gardé, montrant ainsi son honnêteté. Le maître ne rejette pas ces accusations; au contraire, il s’en fait un point d’honneur.

     Le jugement est immédiat. L’agitateur est humilié, vilipendé et expulsé de cette riche maison. « Esclave, ton cœur est mauvais, et tu es un fainéant! » Il est banni dans le monde des pauvres et des exclus, un monde de misère et de mort. C’est le prix à payer par celui qui a voulu dire la vérité.

     Pourtant la Torah de Moïse (Lévitique 25, 35-38) prescrit aux riches de prêter aux pauvres sans charger d’intérêts. Le prêt à intérêt a été interdit jusqu’au XIIe siècle dans l’Église et le Coran le condamne également. Le troisième serviteur est le seul à avoir observé la Torah. Pourtant dans la lecture qu’on fait généralement de cette parabole, il est considéré comme le méchant de l’histoire.

     Il n’a pas prêté l’argent, il l’a retiré de la circulation; il s’est ainsi dissocié du système économique de domination qu’il avait servi jusque là. Il y a là une conversion de sa part, puisqu’il était parvenu à un poste de confiance. Comme il avait été un oppresseur, sa conversion ne convaincra pas les paysans dont il avait abusé et ses pairs le rejetteront. Il a agi seul, il mourra seul. Enfin qu’arriverait-il si les administrateurs décidaient de ne plus faire leurs devoirs?

     N’est-ce pas que la relecture de cette parabole peut éclairer la façon dont l’économie est gérée. Elle est un appel à un changement de comportement et une invitation à réfléchir à la meilleure façon d’y arriver. Enfin, ce proverbe cité par Matthieu comme conclusion de la parabole ne décrit-il pas brillamment comment fonctionne notre économie : « celui qui a recevra en abondance, mais au démuni le peu qu’il a sera enlevé ». 

Réflexion inspirée du livre de William R. Herzog II, Parables as subversive speech : Jesus as Pedagogue of the Oppressed, chapitre 9.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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La religion du malin

 

 

 

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