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Justice sociale
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chronique du 23 septembre 2011

 

L’art d’ignorer les pauvres

riche et pauvre

Actualité : Un rapport du Conference Board - Dangereuses inégalités

Le Canada est en train de rattraper les États-Unis dans le triste championnat des inégalités de revenus entre riches et pauvres. Cette tendance, attribuable aussi bien à l'évolution du marché qu'aux politiques des gouvernements, s'avère préoccupante non seulement pour des raisons d'équité, mais également de qualité de vie et de développement économique. Lire la suite »

Source : Éric Desrosiers, Le Devoir, édition du 17 septembre 2011.

L'Art d'ignorer les pauvres, de John Kenneth Galbraith

« Il y a deux manières de favoriser le retour au travail des chômeurs, expliquait en 2010 l’hebdomadaire libéral The Economist. L’une est de rendre inconfortable ou précaire la vie de ceux qui reçoivent une allocation chômage; l’autre consiste à faire que la perspective d’un emploi devienne viable et attirante. » La question de la « viabilité » d’une recherche d’emploi est cependant posée quand le taux de chômage atteint ou dépasse les 10 %. Et l’« attrait » du travail salarié décline quand les rémunérations se tassent, quand le stress et les pressions se multiplient. Reste alors à rendre encore plus « inconfortable ou précaire » le sort des chômeurs. Lire la suite »

Source : Le Monde diplomatique

Matthieu 20, 1-15

Le règne des Cieux, c’est ce maître de maison debout avant l’aube,
qui sort recruter des ouvriers pour sa vigne.
 « Je vous embauche, leur dit-il, au salaire d’un denier par jour. »
Les ouvriers acceptent. Il les envoie dans sa vigne.
Vers neuf heures, il sort de nouveau. Des hommes sont là, sur la place, à ne rien faire. Il les aperçoit et leur dit : « Allez, vous aussi, dans ma vigne. Je vous paierai ce qu’il faut. » Ils partirent donc.

Le maître ressort à midi et à trois heures. La scène se répète. Vers cinq heures, il sort une dernière fois. Des hommes sont là sur la place, à ne rien faire. Il les aperçoit. Le maître leur demande : « Pourquoi restez-vous là, toute la journée, à ne rien faire ? »
Ils répondirent : « Il n’y a pas de travail pour nous.
Et lui : « Allez, vous aussi, dans ma vigne. »

Le soir venu, le propriétaire de la vigne dit à son régisseur : « Fais venir les ouvriers et donne à chacun son salaire. Tu commenceras par payer les derniers et finiras par les premiers. »
Les ouvriers de cinq heures s’avancent : chacun reçoit un denier. Les ouvriers de l’aube s’avancent à leur tour, sûrs de recevoir davantage : chacun reçoit lui aussi un denier. Ils protestent, se plaignent au maître de la maison : « Regarde, ceux-là n’ont travaillé qu’une heure et tu les traites comme nous qui sommes fourbus après toute une journée de travail, et par cette chaleur ! »

À l’un d’eux, le maître rétorque : « Ami, en quoi t’ai-je lésé ? Nous étions bien d’accord pour un denier, non ? Prends ton dû et rentre chez toi. Au dernier arrivé, je veux donner autant qu’à toi. N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux avec ce qui m’appartient ? Ou est-ce ton cœur qui tourne en mal ma bonté ? »                             

Commentaire

     Matthieu, c’est connu, a recueilli des histoires que Jésus a racontées aux gens de Galilée; elles se sont transmises de bouche à oreille durant une cinquantaine d’années dans les communautés de disciples avant que l’auteur de l’évangile ne les publie dans son livre. Comme ce dernier ignorait dans quelles circonstances et contextes ces histoires avaient été racontées par Jésus, il les reprend en les réinterprétant pour servir son propos théologique. Aussi les exégètes de tous les temps ont-ils cherché à retrouver la parabole telle que racontée par Jésus lui-même; il s’agit là d’un discernement délicat et difficile.

     Selon Matthieu, ce maître de maison serait une figure de Dieu qui par sa grâce et sa bonté nous gratifie de ses dons même si nous ne le méritons pas. C’est pourquoi il a introduit la parabole par ces mots : « Le règne des Cieux. » Mais on ne peut s’empêcher de se sentir mal à l’aise qu’un patron aussi autoritaire et arbitraire incarne l’image de Dieu le Père.

Quels sont les acteurs de cette histoire ?

     D’abord, un grand propriétaire terrien, le maître d’une maison comprenant sa famille et celles de ses enfants, des administrateurs, des domestiques et des esclaves et une grande entreprise agricole; et d’autre part de très nombreux travailleurs journaliers en chômage et disponibles sur la place publique. Dans l’original grec, l’homme est désigné de oikodespotès, despote de la maison : il possède une autorité absolue. La présence d’un administrateur démontre qu’il s’agit d’un homme très riche qui brasse de grosses affaires. Il occupe une grande partie de ses terres à produire du vin qu’il peut vendre et exporter. Une vigne est un gros investissement, car elle ne produit qu’après quatre années de soins et d’entretien des plants, mais c’est payant. Ces grandes propriétés s’étaient développées depuis l’occupation romaine en acquérant les propriétés des petits fermiers appauvris et endettés, qui étaient devenus depuis lors des travailleurs saisonniers et journaliers. Dans l’évangile de Luc, Jésus avait décrit ainsi l’un de ces grands seigneurs : « Un hommes était riche. Il s’habillait de pourpre et de lin fin. Il donnait chaque jour des fêtes splendides. Un pauvre, nommé Lazare, gisait à sa porte, couvert de plaies… » (Luc 16,19)

Deux scènes dans cette histoire : celle où le maître engage les travailleurs et celle où il les paie

     La récolte presse, le travail est intense, il faut de la main d’œuvre tout de suite. Il y a tellement de plants que l’homme est incapable de calculer combien de travailleurs il lui faut. Lors de sa première sortie à l’aube, il propose un ‘arrangement’ avec les travailleurs, mais de fait, c’est à prendre ou à laisser. Ceux-ci sont si nombreux qu’il n’est pas question de refuser l’offre au risque de rester sur le carreau. Un denier par jour, c’est un salaire de subsistance, une pitance. Lors de ses sorties subséquentes, il leur ordonne simplement d’aller travailler en leur promettant ce qui est juste selon son critère.

     On est impressionné par le nombre de chômeurs qui sont là à attendre un travail jusqu’à cinq heures de l’après-midi. La Galilée avait à cette époque une grande quantité de pauvres qui travaillaient occasionnellement comme journaliers et souvent passaient des mois sans travail à mendier. Les Romains avaient pour principe de ne jamais engager un travailleur pour plus d’une journée.

     Passons à la deuxième partie de la parabole : la paie. Cet homme n’a aucun respect pour le travail exécuté; hautain, il humilie et méprise les hommes qui ont sué toute la journée en faisant passer les derniers en premier et en donnant à tous le même salaire de misère. C’est dire que leur travail n’a aucune valeur. Ils osent protester vigoureusement : ce n’est pas juste! Et la réponse est le congédiement : prend ton denier et va-t-en; demain tu n’auras plus personne pour t’engager, ingrat qui ne sait pas reconnaître la bonté du patron. De plus, ce patron juif profère un véritable blasphème en disant que la terre lui appartient, car en Israël, la terre est un don de Dieu et c’est Elohim qui en est l’unique propriétaire.

L'écart entre riches et pauvres continue à se creuser

     Ne trouvons-nous pas des analogies avec ce qui se passe aujourd’hui? Halimi, dans la préface du livre L’art d’ignorer les pauvres de Galbraith décrit ainsi les principes de base de nos sociétés : les riches seraient plus entreprenants s’ils payaient moins d’impôts; les pauvres seraient plus travailleurs s’ils recevaient moins de subsides. Selon le Conference Board, l’inégalité croissante au Canada est due à la mondialisation de l’économie : on met en compétition les travailleurs et travailleuses les moins spécialisés d’ici avec la main d’œuvre des pays pauvres. Résultat : des pertes d’emplois et des pressions à la baisse sur les salaires. Les syndicats s’en trouvent affaiblis et la classe travailleuse possède de moins en moins de pouvoir de négociation. Or selon Jean-Michel Cousineau, de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, « l’outil le plus puissant pour réduire les inégalités reste l’éducation et la formation professionnelle ». Or partout dans le monde, on prétend résoudre les crises économiques en coupant dans l’éducation et la santé. Maintenir les travailleurs et travailleuses sans éducation et malades n’annonce sûrement une société prospère et juste.

Jésus, un pédagogue des opprimés

     Alors, pourquoi Jésus raconterait-il une histoire aussi déprimante à ses compatriotes appauvris de Galilée? Parce qu’il éduquait ainsi les paysans et paysannes à ne pas se laisser blâmer pour l’oppression qu’ils subissaient, il démasquait le système oppresseur qui les écrasait, leur ouvrait les yeux sur les problèmes vécus, redonnait fierté à ces paysans sans terre que l’on blâmait d’être des fainéants qui passent la journée sans rien faire. Jésus a pris la tête d’un mouvement de pauvres qui aspiraient à vivre dignes et libres. Les paraboles de Jésus décrivent des situations sociales de son milieu; il est un éducateur populaire qui aujourd’hui encore nous inspire pour condamner non pas les pauvres, mais la pauvreté et ses causes. Mais pour bien comprendre ses paraboles, il faut se mettre dans la peau des plus petits, des exclus et des marginalisés, tout comme lui l’a fait. Des pauvres qui rêvent d’une vie plus digne et se mobilisent, comme au Brésil où le Mouvement des travailleurs sans-terre, par ses luttes et son organisation de paysans et paysannes, a réussi jusqu’ici à reconquérir une terre pour 350 000 familles. Une grande partie de ces pauvres sont animés d’une grande confiance en Jésus, leur libérateur. Il en est bien ainsi du règne des Cieux…

Dans ce commentaire, je m'inspire de : William R. Herzog II, Parables as Subversive Speech : Jesus as Pedagogue of the Oppressed, Louisville, Westminster/John Knox Press, 1994, pp. 79-97.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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Conflit israélo-palestinien : Dieu a-t-il donné cette terre à Israël?

 

 

 

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