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Justice sociale
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chronique du 15 février 2013

 

Conquérants et évangélisateurs ?

Idle No More

Au Canada, le mouvement Idle no more! (Assez enduré!) fait partie d’une lutte sur tous les continents pour la reconnaissance des peuples autochtones. Les Premières nations veulent être enfin reconnues comme nations et traiter avec la société canadienne, non pas comme des mineurs qu’ils sont toujours devant la loi, mais comme des partenaires respectueux des traités. Ce mouvement va aller en s’accentuant et il est irréversible.

      Au XVIe siècle, le docteur en théologie, le prêtre espagnol Juan Ginés de Sepúlveda, chroniqueur de l’empereur Charles Quint, dans son Traité sur les justes causes de la guerre contre les Indiens [1], élabora une doctrine qui a donné libre cours aux Européens pour réaliser un génocide de 60 millions d’autochtones, de vider les terres des Amériques de ses habitants, de s’emparer du territoire et d’amener d’Afrique plus de 20 millions d’esclaves.

« Quoi de plus convenable et plus salutaire aurait pu arriver à ces barbares que de se trouver soumis à l’empire de ceux dont la prudence, la vertu et la religion vont les convertir de barbares tels qu’ils méritaient à peine le nom d’êtres humains, en hommes civilisés en autant qu’ils puissent l’être; de malhabiles et libidineux en gens intègres et honorables; d’impies et de serviteurs des démons en chrétiens et adorateurs du vrai Dieu ? » [2]

      Plus récemment au XXe siècle, nos Églises canadiennes ont collaboré avec le gouvernement fédéral, par le biais des pensionnats autochtones, à une entreprise d’assimilation forcée qui a causé des torts irréparables à ces communautés en détruisant leur identité et leur culture. À cela s’ajoute le scandale de mauvais traitements et d’agressions sexuelles sur des mineurs, ce qui a anéanti la vie d’une génération d’autochtones qui prennent aujourd’hui la parole pour dénoncer leurs agresseurs.

      D’où l’importance pour les chrétiens d’un retour sur l’histoire et du devoir de repentance face aux Premières nations dont nous partageons le territoire. Le christianisme ainsi vécu a contribué à l’oppression des Premières nations dans le contexte de colonisation qui s’est imposé de la part de l’Occident sur tous les continents dominés de l’Amérique, de l’Asie de l’Australie et d’Afrique. Ce péché social très grave contredit radicalement le message de Jésus de Nazareth. Prenons connaissance du message que des autochtones d’Amérique latine ont adressé à Jean-Paul II lors de son voyage au Pérou en 1988.

« Nous, Indiens des Andes et d’Amérique, nous avons décidé de profiter de la visite de Jean Paul II pour lui remettre sa bible, parce qu’en cinq siècles elle ne nous a donné ni amour, ni paix, ni justice. S’il vous plaît, reprenez votre bible et retournez-la à nos oppresseurs, parce qu’eux ont besoin de ses préceptes moraux plus que nous. Depuis l’arrivée de Christophe Colomb, s’est imposé à l’Amérique, par la force, une culture, une langue, une religion et des valeurs propres à l’Europe. La bible nous a été léguée comme faisant partie du changement colonial imposé. Elle fut l’arme idéologique de cet assaut colonialiste. L’épée espagnole qui de jour attaquait et assassinait le corps des Indiens, la nuit se convertissait en croix qui attaquait l’âme indienne. » [3]

Pourquoi des chrétiennes et des chrétiens ont-ils adhéré à cette vision?
D’où cela leur vient-il? Pourquoi cette perversion de l’Évangile ?

      Le livre de Josué est le modèle du parfait conquérant. À une époque où Israël avait perdu les dix des tribus du Nord amenées en exil en Assyrie, le roi Josias, roi de Juda, rêvait de recréer le grand royaume de David avec Jérusalem comme capitale. Il entreprit une vaste réforme et les scribes rééditèrent les épopées de Josué pour donner légitimité aux aspirations du roi. Le livre donne l’impression d’une conquête globale de la terre de Canaan par un peuple d’Israël unifié en douze tribus, qui venant de l’extérieur, a conquis la terre rapidement par des actions éclairs, délogeant et tuant tous les autochtones qui y vivaient. Le livre des Juges, par ailleurs, contredit clairement cette vision et montre une cohabitation des populations tribales d’Israël avec les peuples environnants.

      Cette interprétation conquérante du livre de Josué se retrouve à inspirer les Juifs sionistes qui prétendent, aujourd’hui, reconquérir la terre que Dieu aurait donné à Josué en éliminant les autochtones et en créant un Royaume de David avec des Juifs du monde entier. Cette tradition est tellement porteuse, qu’elle a aussi justifié la conquête et la colonisation des peuples d’Amérique, d’Afrique et d’Asie et conduit à des abus inimaginables.

      La Bible est une collection d’ouvrages qui, à travers plusieurs siècles, sont les témoins des rêves et des vicissitudes d’un peuple à travers son Histoire. Ces écrits sont tributaires de mentalités patriarcales et racistes et ils ont besoin d’être relus aujourd’hui, dépouillés de ces scories, qui affectent gravement le message spirituel du Livre. Une lecture fondamentaliste, telle celle faite par Sepúlveda au temps de la conquête, est encore bien vivante dans les colonies d’implantation israéliennes dans les territoires palestiniens. Elle a aussi induit les Églises canadiennes à participer à une entreprise raciste de l’État canadien : l’élimination de l’Autre, du Différent, du Barbare. Le fondamentalisme, qui prend les textes au pied de la lettre, renaît aujourd’hui avec force dans le christianisme, le judaïsme et l’islam. Il est source de fanatisme et de violence.

Livre de Josué

      Au moment de franchir le Jourdain…

« Approchez, dit Josué aux Israélites, écoutez ce que dit Yhwh votre Dieu. Qu’un dieu vivant soit au milieu de vous, vous le saurez à ceci : il va vraiment déposséder devant vous les Cananéens, les Hittites, les Hiwwites, les Périzzites, les Guirguashites, les Amorites et les Jébusites, puisque là, devant vous, le coffre de l’alliance du Seigneur de toute la terre traverse le Jourdain. Prenez-vous donc douze hommes des tribus d’Israël, un par tribu. Quand les prêtres porteurs du coffre de Yhwh, Seigneur de toute la terre, auront posé la plante de leurs pieds dans les eaux du Jourdain, les eaux descendant de l’amont du Jourdain seront coupées et se dresseront en une seule masse….. et tout Israël passa sur ce sol ferme, jusqu’à ce que toute la nation finisse par traverser le Jourdain. » Josué chapitre 3, v. 9 à 14

      Par contre, voici une relecture faite par des autochtones et envoyée aux évêques d’Amérique à l’occasion du cinquième centenaire de l’arrivée de Christophe Colomb. La perspective est bien différente : 

 « Chez les peuples autochtones se réalisent au pied de la lettre ce que saint Paul disait à la communauté chrétienne de Corinthe : nous avons beaucoup d’endurance, nous supportons des persécutions, des carences, des angoisses, des coups, des prisons, des émeutes, des fatigues, des nuits blanches, des jours sans manger… En nous est la vérité et la force de Dieu. Nous luttons avec les armes de la justice, autant pour attaquer que pour nous défendre. Parfois on nous honore et d’autres fois on nous insulte; nous recevons autant des critiques que des louanges; nous passons pour menteurs, bien que nous disions la vérité; ils disent ne pas nous connaître, bien que tout le monde nous connaisse; on nous croit morts et pourtant nous sommes en vie; les châtiments pleuvent sur nous, mais ils ne peuvent nous détruire. Ils nous prennent pour des affligés, pourtant nous sommes contents; ils nous traitent comme des pauvres, pourtant nous sommes cause d’enrichissement pour plusieurs; il semblerait que nous n’avons plus rien, pourtant nous continuons de tout posséder. » (2 Corinthiens, 6, 4-10) [4]

[1] Pablo Richard, « Interpretación bíblica desde las culturas indígenas », dans RIBLA no 26, 1997, Costa Rica, p. 47.

[2] Ibidem.

[3] Elsa Tamez, « Biblia y 500 años », dans RIBLA NO 16, 1992, Costa Rica, p. 14.

[4] Manifeste autochtone aux évêques du continent américain à l’occasion du cinquième centenaire de l’arrivée de Colomb en Amérique.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
Peut-on vivre radicalement l’Évangile dans les pays du G8?

 

 

 

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