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Justice sociale
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chronique du 17 mai 2013

 

Créer la grande famille des peuples

Pentecôte

Enluminure des Évangiles syriaques de Rabula, folio 14v, VIe siècle.

À l’occasion de la Pentecôte, j’aimerais réfléchir sur le Souffle qui a inspiré Jean XXIII et qui continue de faire irruption dans notre monde comme un vent décoiffant, je dirais même plus, comme un vent d’ouragan.

     Il y a 50 ans, le 11 avril 1963, Jean XXIII adressait aux catholiques ainsi qu’« à tous les hommes de bonne volonté » une lettre circulaire intitulée « Paix sur terre » (Pacem in Terris[1]. Dans une période particulièrement troublée par l’affrontement des deux superpuissances, l’URSS et les États-Unis, le monde vivait avec la menace d’un affrontement nucléaire apocalyptique. Le pape Jean déclarait alors avec une audace prophétique : « Enfin l’humanité, par rapport à un passé récent, présente une organisation sociale et politique profondément transformée. Plus de peuples dominateurs et de peuples dominés; toutes les nations ont constitué ou constituent des communautés politiques indépendantes. » (§42) L’encyclique nous incitait à penser l’humanité comme une seule et grande famille, où les personnes et les peuples ont des droits et des devoirs.

Un souffle créateur plane sur le chaos

     La Bible s’ouvre ainsi: « ENTÊTE Elohîm créait les ciels et la terre, la terre était tohu-et-bohu, une ténèbre sur les faces de l’abîme, mais le souffle d’Élohim planait sur les faces des eaux. » (Genèse 1,1 selon la traduction de Chouraqui [2])

     Dans une grandiose inclusion, le livre de la Révélation de Jean, le dernier livre de la Bible, se conclut également sur une nouvelle création : « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car, le premier ciel et la première terre s’en sont allés, et la mer n’est plus. » (Ap 21,1)

     Le message central de la Bible nous invite à créer un monde juste. La création surgit toujours d’un chaos, d’un tohu-bohu, d’un « cul par-dessus tête », de ténèbres de corruption et de collusion, de tsunamis d’injustices et d’oppressions, de séismes de guerres et de violences qui emportent des millions de vie. La création commence aujourd’hui et elle nous est confiée; elle est la responsabilité d’êtres humains dotés de Souffle. La Genèse ne nous parle pas du passé de la terre et des ciels, elle nous parle de nous, de notre chaos présent. Le prophète Isaïe décrit bien en quoi consiste la création nouvelle au milieu de nos déboires et de nos corruptions.  Il montre comment sortir du chaos qui enveloppe les peuples de ténèbres. « Quel est le jeûne que je veux? C’est briser les chaînes du crime, délier le harnais et le joug, renvoyer libre l’opprimé et déposer le joug, partager ton pain avec l’affamé, ramener chez toi le pauvre des rues, couvrir celui que tu vois nu… alors jaillira ta lumière… tu seras un jardin bien trempé, un jaillissement d’eaux, d’eaux qui ne mentent pas, tu rebâtiras sur les ruines de jadis. » (Is 58,6-8.11) Le prophète annonce à sa génération la réalisation d’un Éden nouveau, jardin de vie et ville restaurée dans la pratique de la justice.

Les dix Paroles sur le Sinaï : la charte de la liberté humaine

     La fête des semaines (Shabou’ot en hébreu), célébrée cinquante jours après la Pâques, nous rappelle l’alliance de Dieu avec son peuple et le don de la Torah. La scène est impressionnante. Le mont Sinaï est plongé dans une épaisse fumée et toute la montagne tremble énormément. (Ex 19,18-19) Moïse rencontre YHWH dans ce nuage sombre; il y a du tonnerre, des éclairs, des bruits de trompette. Il parle et YHWH lui répond de sa voix. La horde d’esclaves sortis d’Égypte rencontre enfin YHWH qui les a libérés et en scellant une alliance, ils deviennent un peuple. « Je suis YHWH ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des asservis. » (Ex 20,2) Pas un dieu des puissants de ce monde, pas un dieu des temples royaux ou protecteur de l’empire (In God we trust inscrit sur le dollar ou Gott mit Uns sur les étendards nazis), mais l’Unique YHWH qui libère les esclaves, un YHWH qu’on ne peut contrôler, dont on ne sait ni le nom, ni à quoi il ressemble. La Pentecôte juive est un évènement fondateur du monde nouveau, dont l’initiative revient à un Dieu personnel et aimant qui établit une alliance avec l’humanité. Ces Dix Paroles sont la charte de la liberté humaine, le don de Dieu pour une humanité libérée. En mots contemporains, elles pourraient se résumer ainsi :

  1. Sois fidèle à ton YHWH.

  2. Ne te fais pas un dieu à ton image.

  3. N’utilise pas YHWH pour servir tes intérêts et exploiter les autres.

  4. Laisse la terre et les gens se reposer : mets une limite à tes ambitions.

  5. Sois respectueux de ta famille.

  6. Ne méprise pas la vie humaine par la violence.

  7. Honore ton engagement amoureux.

  8. Ne méprise pas les biens de la communauté : sois honnête.

  9. Ne méprise pas les institutions de la communauté : sois vrai.

  10. N’essaie pas de t’emparer de la vie ni des biens des autres.

     André Chouraqui nous rappelle que « les Dix Paroles d’adressent à l’humanité entière du fait même qu’elles résument en quelques phrases la condition humaine et les conditions de survie de l’humain qui est en l’homme. Nul ancrage géographique précis, nulle cité, comme si le Décalogue, bien loin de provenir d’un pays précis, devait devenir patrie de l’homme. » Il poursuit : « Aujourd’hui, l’humanité arrive à un point où la plupart des principes du Décalogue sont intégrés par les appareils législatifs et judiciaires, au niveau national et international. Mais jamais les hommes n’ont été plus éloignés de leur application. Les progrès de la technologie et la réduction des distances entre les hommes ont décuplé les capacités de nuire que les Dix Paroles s’étaient efforcées de contrôler et de canaliser. » [3]

La Pentecôte de l’Église, l’alliance renouvelée.

     Le récit de la première Pentecôte de l’Église, racontée par Luc dans le deuxième chapitre des Actes  d’Apôtres, s’éclaire par ces textes de la Bible hébraïque : « lorsque s’est accomplie la Pentecôte… » (Actes 2), c’est-à-dire 7 fois 7 semaines après Pâques, un cycle qui rappelle l’année jubilaire, appelée année de grâce, où toutes les dettes étaient pardonnées et où l’on procédait à une redistribution des terres dans tout Israël. La Pentecôte a besoin de temps pour advenir, un temps où l’on apprivoise la liberté et où l’on est parfois nostalgique de l’esclavage en Égypte. Leonardo Boff fait le commentaire suivant : « Il est plus facile de faire sortir les esclaves d’Égypte que de sortir l’Égypte de la tête des esclaves. » Par exemple, quand nous observons le printemps arabe dans différents pays, nous constatons que ces peuples qui ont réussi à « renverser les puissants de leur trône » avec grand enthousiasme et courage, cherchent maintenant à tâtons comment donner forme politique à une société fragilisée. Il leur faudra, comme les esclaves libérés d’Égypte, faire l’expérience du désert avec des avancées et des reculs, avant de trouver la Constitution qui sauvegardera à jamais leur liberté. Mais ils parviendront un jour à la terre promise.

     Lors de la première Pentecôte sur le Sinaï, Moïse était seul à parler avec YHWH; dans la salle où est réunie l’Église, environ cent vingt disciples de Jésus, femmes et hommes, vieillards et enfants reçoivent le Souffle divin dans une mise en scène qui rappelle celle de l’Exode. Vent violent et grand bruit, langues de feu qui tombent du ciel et se répartissent sur chacun d’elles et d’eux.  Pierre relit l’évènement à la lumière de la prophétie de Joël, dans laquelle YHWH déclare : « Je répandrai de mon Souffle sur toute personne. Alors vos fils et vos filles prophétiseront. Les plus jeunes auront des visions et les anciens feront des songes. Oui, durant ces jours, je verserai mon Souffle sur mes serviteurs et mes servantes. Ils et elles seront prophètes. » (Joël, 3,1-5) Moïse l’avait prédit à Josué dans le désert : « Puisse le peuple entier de YHWH être prophète. Puisse YHWH mettre son Souffle sur eux. » (Nb 11,29)

     Ce même Souffle divin qui planait sur le chaos est répandu désormais sur les disciples de Jésus pour que la Parole créatrice puisse faire con œuvre « jusqu’aux confins de la terre. » (Ac 1,8) « Un souffle du Seigneur est sur moi : par lui j’ai été distingué pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres. Mandé par lui, je déclare aux prisonniers leur relaxe, aux aveugles qu’ils verront à nouveau, aux opprimés qu’ils seront pardonnés. » (Lc 4,18)

     Le souffle, c’est le vent, doux comme la brise ou violent comme le typhon; c’est la respiration, l’air qui s’infiltre en nous. En YHWH, le Souffle est énergie donneuse de vie; ce Souffle maintient dans l’être et l’existence tout être vivant, microbe ou dinosaure, tout ce qui vole, rampe, marche, grimpe ou nage. Ce Souffle ne cesse de créer; il est plus intime à nous que nous même. Il inspire le cosmos,  l’humanité entière; il insuffle son dynamisme, son énergie créatrice sur tout peuple, toute nation, toute langue, toute religion. Il souffle sur le chaos de notre monde, de l’intérieur.

     Jean XXIII, dans sa lettre circulaire Pacem in Terris était possédé par ce Souffle quand il s’adressait à la grande famille humaine. En continuité avec l’enseignement de son prédécesseur, le pape François écrit : « Jamais l’humanité n’a eu, comme aujourd’hui, la possibilité de constituer une telle communauté mondiale, solidaire et avec autant de facettes. D’un autre côté, l’indifférence face aux déséquilibres sociaux croissants, l’imposition unilatérale de valeurs et de coutumes par une poignée de cultures, la crise écologique et l’exclusion de millions d’êtres humains des bénéfices du développement, font sérieusement douter des bienfaits de cette mondialisation. La création d’une famille humaine solidaire et fraternelle continue, dans ce contexte, d’être une utopie. » [4]

     Que le Souffle de Jésus nous envahisse comme un feu dévorant, lui qui a dit : « Le feu ! Je suis venu le jeter sur la terre ; combien je voudrais qu’il soit déjà allumé. » (Lc 12,49). Jean le baptiste nous avait prévenus : « Lui, il vous plongera dans le Souffle sacré et le feu. » (Lc 3,16) Je nous souhaite une fougueuse Pentecôte !

[1] Pacem in Terris – Paix sur la terre, relecture engagée dans le Québec d’aujourd’hui, par un collectif d’auteurs sous la direction de Gregory Baum, Pax Christi, chez Novalis, 2013, 133 pages.

[2] Ce texte est cité dans la traduction de la Bible par André Chouraqui; ailleurs dans cet article, j’utilise la traduction de Bayard et Médiaspaul (2001)

[3] Les dix commandements aujourd’hui, André Chouraqui, Robert Laffont, Paris 2000, p 24

[4] Je crois en l’homme – Conversations avec Jorge Mario Bergoglio, Flammarion, 2013, p.203

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
La création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement (Rm 8,22)

 

 

 

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