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Justice sociale
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chronique du 19 décembre 2014

 

En marche ! Vous n’êtes pas seules !


Le 6 décembre, nous faisions mémoire de l’exécution de quatorze étudiantes de l’École polytechnique de Montréal, il y a 25 ans. L’étudiant Marc Lépine, sous la menace d’un fusil automatique, séparait les garçons et les filles et ouvrait le feu, tuant quatorze femmes et blessant quatorze autres personnes (4 hommes et 10 femmes), avant de se suicider. Pour dénoncer la violence généralisée contre les femmes chez nous et dans le reste du monde, les 33 députées à l’Assemblées nationale du Québec ont lu, hors de toute partisannerie, un texte qui dénonçait toute une série de faits récents : « Et la question que tous se posaient : Pourquoi ici ? Car, la violence à l’égard des femmes et des enfants ne semble pas se résorber. Elle nous rejoint dans nos maisons, nos rues, nos lieux de travail. Ailleurs, elle sévit dans les camps de réfugiés, les bidonvilles, les champs de bataille, les maisons cossues, les ateliers sombres, les usines aux portes cadenassées. »

  • 1 500 Québécoises ont été tuées par d’ex-conjoints depuis 1989 !

  • À Winnipeg, le 7 novembre dernier Rinelle Harper, une autochtone de 16 ans, a été violée par deux fois et laissée pour morte dans les eaux glacées de la rivière Assiniboine, à Winnipeg. 1 200 femmes autochtones ont été assassinées ou ont disparu au Canada.

  • Les sœurs Shafia, Zainab, Sahar et Geeti, ainsi que Rona Amir Mohamed de 50 ans ont été assassinées au nom de l’honneur et retrouvées au fond du canal Rideau, à Kingston.

  • 200 étudiantes ont été enlevées, dans une école du Nigéria, par le groupe Boko Haram, et transformées en épouses, esclaves sexuelles et soldates, etc.

     Deux jours plus tard, le 8 décembre, l’Église catholique célébrait la conception immaculée de Marie et cela m’a provoqué à une réflexion sur la mère de Jésus qu’on a le malheur de représenter presque toujours comme une femme enrobée de divin, inatteignable dans sa pureté et sa maternelle virginité. C’est le pape Pie IX qui, en 1854, de sa propre autorité, proclamait ce dogme : « C'est pourquoi, puisant dans les trésors de sa divinité, il (Dieu) la combla (Marie), bien plus que tous les esprits angéliques, bien plus que tous les saints, de l'abondance de toutes les grâces célestes, et l'enrichit avec une profusion merveilleuse, afin qu'elle fût toujours sans aucune tache, entièrement exempte de l'esclavage du péché, toute belle, toute parfaite et dans une telle plénitude d'innocence et de sainteté qu'on ne peut, au-dessous de Dieu, en concevoir une plus grande ». [1]

     Cette « sainte vierge » de la dévotion catholique aurait avantage à être confrontée aux textes évangéliques. Voici donc, face à ces images pieuses, le chant attribué à Marie lors de sa rencontre spirituelle avec Dieu dans l’évangile de Luc (1, 48-53)

De toute mon intensité je veux dire la grandeur du Seigneur,
Mon cœur bondit de joie à cause de Dieu, mon Sauveur.
Car il a bien voulu jeter son regard sur moi, son humble servante.
Voici, désormais tous les âges me diront : En marche!
Oui, le Puissant a fait en moi de grandes choses et son nom est saint.
De tout temps, Il déborde de compassion pour qui frémit devant lui.
Il fait prouesse de son bras et disperse les cœurs arrogants.
Il jette les puissants en bas de leurs trônes et relève ceux qu’ils ont piétinés.
Les affamés sont comblés; les riches sont congédiés les mains vides.
Il soutient Israël, son enfant, se souvenant d’en prendre bien soin
Comme il l’avait dit à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa descendance pour toujours.

     Laissez-moi vous partager une relecture faite par des femmes chiliennes d’un quartier ouvrier à Santiago durant la dictature militaire. Elles étaient une quinzaine à réfléchir sur ce texte. Je leur présentai d’abord l’image de Notre-Dame du Mont-Carmel, patronne du Chili et générale en chef des armées chiliennes (!). On l’appelle là-bas la « Carmencita »!

Carmencita

     Je lançai la réflexion en leur disant : « Voici comment, au Chili, nous nous représentons Marie, la mère de Jésus. Maintenant, je vous invite à lire le chant que Marie a entonné lorsque l’ange l’a visitée et vous allez chercher à voir si cette image représente bien le texte de l’évangile de Luc. »

     Autour de la table, la discussion s’anima et je les entendais rire aux éclats. Après quelque temps, je vins les retrouver. « Puis? » - « Mon père, elle est restée toute nue, que faisons-nous maintenant? », lance en riant la plus âgée.

     « D’abord, elle dit qu’elle est une humble servante. Nous toutes, ici, connaissons des problèmes économiques à la maison et nous allons travailler comme domestiques dans les maisons du quartier élégant de Las Condes pour des salaires de famine. Des humbles servantes, nous connaissons ça, parce que c’est notre vie. Alors nous avons commencé par lui enlever sa couronne et celle du petit Jésus. Nous avons vendu le tout pour financer la soupe populaire.  Ensuite elle est habillée comme la reine d’Espagne avec l’enfant royal dans ses bras! Une telle femme n’a jamais fait la vaisselle, je peux vous le garantir. La Vierge, elle est comme nous. »

     « À ses pieds, il y a des soldats : les libérateurs du Chili, San Martin et O’Higgins avec leurs canons. Marie a horreur de la guerre; ce sont les soldats qui ont torturé son fils et l’ont tué. Le général O’Higgins l’a nommé générale en chef de l’armée chilienne et c’est pourtant cette armée qui est au pouvoir et qui écrase notre peuple. Nous ne voulons pas voir les militaires avec Marie. Ils n’ont rien à faire là. Marie dit que Dieu détrône les puissants; nous avons bien hâte qu’il agisse, parce que cette dictature dure beaucoup trop. Les arrogants sont à la tête du pays et nous leur résistons. Un jour, ils devront partir. Et puis les drapeaux chiliens n’ont pas leur place non plus. Marie, on la retrouve avec les femmes pauvres de tous les pays du monde.»

     « Marie, nous en sommes certaines, a connu les mêmes misères que nous, les femmes chiliennes. Elle est tombée enceinte alors qu’elle était encore toute jeune et tout le monde devait la montrer du doigt. Ça arrive à bien des jeunes filles ici aussi et ça commence bien mal une vie de couple. Puis elle n’avait pas de maison où recevoir son petit; elle a dû accoucher dans une grange, dans la plus grande pauvreté. Comme beaucoup de nos compatriotes, elle a souffert de la répression d’Hérode et a dû se réfugier de nuit dans un autre pays. La voyez-vous partir à dos d’âne, habillée comme une reine avec sa couronne d’or? Et puis, à son retour dans son village, croyez-vous qu’elle n’a pas eu peur quand les villageois ont sorti Jésus de la synagogue et ont voulu le précipiter en bas de la falaise à Nazareth? Quelle honte pour elle ! Ces gens étaient des parents, des voisins qui rejetaient complètement ce que Jésus disait. Comment pensez-vous que Marie s’est sentie quand ils ont arrêté Jésus et détenu dans la maison du grand-prêtre? Nous, les femmes chiliennes, nous le savons pour l’avoir vécu. On frappe à nos maisons en pleine nuit. Des hommes cagoulés et armés de mitraillettes font irruption, renversent tout, font peur aux enfants et partent avec notre fils ou notre mari. Puis impossible de savoir où ils les tiennent. Souvent ils disparaissent pour toujours et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. Quand ils ont assassiné son unique fils, Marie se tenait debout au pied de la croix avec plein d’autres femmes, devant les bourreaux. Nous sommes habituées, nous les femmes, à faire face à l’horreur et nous sommes fortes. »

     « Non, mon père, votre image de Marie, vous pouvez la garder. Nous avons toujours su que Marie était une femme du peuple soumise à toutes sortes de violences. Elle s’est tenu debout et elle a cru que cette situation, Dieu allait intervenir pour la changer. Elle a élevé son fils rebelle comme nous, en battante. Cette chanson de Marie nous ressemble quand nous crions nos slogans durant les manifestations : Pain, travail, justice et liberté ou encore Que s’en aille Pinochet! C’est pour cela que nous luttons. Les généraux et les riches s’enrichissent sur notre dos et chez nous, c’est le chômage qui règne. La faim, nous dormons avec. Les enfants vont à l’école le ventre creux et c’est à la tablée populaire qu’il nous faut aller pour quêter un peu de pain. »

Humble servante

     À la suite de cet échange, je leur proposai de rhabiller Marie et de s’en faire une image, femme du peuple, courageuse et révolutionnaire. Elles eurent recours au mari de Silvia qui avait un certain talent de dessinateur. Sur le flanc d’une boite de carton, Sergio représenta une femme du quartier, enceinte, vêtue d’une robe rouge, une maille vide à la main, pour exprimer son dénuement. Clouée à un bout de bâton, cette image de Marie nous a accompagné durant toutes les années de la dictature, autant dans les processions à l’église que dans les manifestations. Une fois de plus, les pauvres m’avaient évangélisé. Les clercs dans leurs élans piétistes et les bien-portants dans nos églises ne peuvent avoir ce regard évangélique de femmes opprimées et violentées au quotidien, qui savent, elles, ce que c’est qu’une humble servante.

     Joyeux Noël en solidarité avec toutes les femmes qui se lèvent et prennent la parole pour dénoncer la violence systémique, physique et psychologique, sexuelle, machiste, sociale et cléricale qui les maintiennent continuellement marginalisées et opprimées. Que Marie, cette femme en chair et en os, nous serve de leader dans notre lutte pour un monde juste et fraternel. Debout, en marche !

[1] Constitution apostolique Ineffabilis Deus, Pie IX, 8 décembre 1854.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
« Chaque fois que vous n’avez rien fait …. » (Mt 25, 31-46)

 

 

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