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Justice sociale
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chronique du 22 mai 2015

 

La lettre tue, mais le Souffle fait vivre !

colombe


Confrontée à la modernité, l’Église catholique est frappée de plein fouet par le rejet de plusieurs de ses enseignements, tenus pour divins, auxquels on tient même quand le gros bon sens nous indique qu’il y a incohérence avec l’Évangile de Jésus. Le synode sur la famille, convoqué par le pape François, en est une illustration patente alors qu’on voit des pans entiers de la hiérarchie se braquer quand il s’agit d’aborder les thèmes polémiques que sont l’indissolubilité du mariage, le contrôle des naissances, l’avortement, l’homosexualité, l’égalité des sexes, l’accès à la communion des personnes divorcées et remariées, l’homoparentalité.

     À titre d’exemple, cette déclaration du cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, à la question de savoir si on pouvait s’attendre à un changement de doctrine au synode : « Même un concile œcuménique ne peut pas modifier la doctrine de l’Église, parce que celui qui en est le fondateur, Jésus-Christ, a confié la garde fidèle de ses enseignements et de sa doctrine aux apôtres et à ses successeurs. En ce qui concerne le mariage, nous avons une doctrine argumentée et structurée, fondée sur ce qu’a dit Jésus, qui doit être offerte dans son intégrité. L’indissolubilité absolue d’un mariage valide est non pas une simple doctrine, mais bien un dogme divin et défini par l’Église. Dans le cas de la rupture de fait d’un mariage valide, un autre "mariage" civil n’est pas admissible. » Ceci affirmé avec le plus grand sérieux alors que la moitié des mariages finissent par un divorce.

     Sans prétendre apporter de solution à ces questions dogmatiques, j’ai mené ma réflexion en revenant sur les positions révolutionnaires d’un Paul de Tarse, pharisien légaliste, « abondant de zèle pour mes traditions ancestrales » (Gal 1,14), menant la guerre sainte aux partisans de la communauté de Jésus. Son retournement fut spectaculaire. Désormais, pour lui, la Torah des Hébreux, la Loi sainte donnée par Dieu, n’était qu’une béquille éphémère, un « service de la mort gravé en lettres sur des pierres» (2 Co 3,7).  C’est dans la lettre aux Galates, écrite vers l’année 55, que Paul expose avec la plus grande conviction sa conception de la liberté dans l’adhésion au Christ Jésus. 

     Il commence par affirmer qu’il est envoyé par le Christ Jésus sans passer par des hommes : « Alors il a paru bon à celui qui m’a tiré du ventre de ma mère, et m’a appelé, par son chérissement, de découvrir en moi son fils, afin que je l’annonce aux goyim. Immédiatement, sans prendre conseil de la chair ni du sang, sans même monter à Jérusalem chez ceux qui avaient été envoyés avant moi, je suis parti en Arabie… » (Gal 1,15-17 trad. A. Chouraqui). Dans son apologie, Paul affirme l’entière liberté de Dieu de choisir qui il veut, quand il le veut. Il exercera son service auprès des goyim (non-juifs) durant trois ans avant d’aller visiter Pierre. Ce n’est qu’après quatorze ans qu’il retournera auprès des « notables » de Jérusalem pour leur exposer l’annonce proclamée auprès des nations, c’est-à-dire que les non-juifs qui adhèrent à Jésus n’ont pas à se soumettre aux prescriptions de la Torah hébraïque. Et avec humour, relativisant le rôle des anciens, Paul ajoute : « Et de la part de ceux qui semblaient des gens d’importance – peu importe ce qu’ils pouvaient être, Dieu ne regarde pas à l’apparence des hommes –  ces notables ne m’imposèrent rien de plus… et, sachant la grâce qui m’avait été donnée, Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main droite en signe de communion. » (Gal 2,1-10)
 
     Jésus et Paul croyaient que l’établissement du règne de Dieu était imminent et n’ont jamais imaginé que l’aventure du christianisme allait durer des millénaires. Paul est devenu apôtre et a fondé et présidé des communautés sans avoir reçu d’ordination de personne, sans autre mission que celle donnée par le Souffle de Dieu. Mais avec la disparition des apôtres et la multiplication des communautés, l’Église a voulu maintenir l’unité et les évêques de Rome ont été désignés comme étant les successeurs de Pierre.  Il y a plus de cent ans, Harnack a réfuté sans appel la thèse de la succession apostolique depuis Pierre jusqu’aux papes de Rome. Il s’agit là d’un édifice idéologique qui imagine le Roi des Rois du ciel confiant à une hiérarchie terrestre la garde fidèle de ses enseignements et de sa doctrine.

     C’est justement cette loi divine tombée du ciel et consignée pour l’éternité dans un livre sacré où toutes les questions concernant l’humanité se trouvent consignées sans qu’on y puisse changer un iota, qui nous paralyse devant les défis de l’heure. L’Église, devant les graves problèmes qui affectent les croyantes et les croyants modernes, se peinture dans le coin [1] en disant se soumettre à la lettre des Écritures et à une doctrine argumentée et structurée, fondée sur ce qu’a dit Jésus, qui doit être offerte dans son intégrité. Nous nous retrouvons dans un cul-de-sac qui nous oblige aux contorsions théologiques pour sauver à la fois notre vérité et la miséricorde.

     Or Paul nous éclaire quand il écrit aux Corinthiens : « (Dieu) nous a rendus capables de servir une nouvelle alliance, non de la lettre mais du Souffle, car la lettre tue et le Souffle fait vivre. » (2 Co 3,6). Ce pharisien intransigeant et tatillon sur l’observance a été complètement chaviré dans sa conversion. À la communauté de Galatie qu’il avait fondé, Paul reproche d’être retournée à l’observance des mitsvot [2]; ce n’est pas l’observance des règles religieuses qui sauve, c’est la foi en Jésus. « C’est pour nous rendre à la liberté que Christ nous a libérés. Alors tenez bon et n’allez pas vous remettre sous le joug de l’esclavage. »

     En ce temps de Pentecôte où nous proclamons l’inspirant récit de la naissance de l’Église par l’effusion du Souffle de Dieu sur toute la communauté, Souffle qui secoue les fondements de la maison où ils se trouvent, Souffle qui les fait sortir de leur enfermement et chasse leurs craintes, Souffle qui les pousse à proclamer la foi dans toutes les langues de l’empire, Souffle brûlant, qui les lance à répandre le feu sur toute la terre avec audace et liberté. Ce Souffle qu’on appelle Dieu n’est pas caché dans un hypothétique ciel situé je ne sais où; il est l’âme de notre monde, il est la poussée d’être et de vie de tout ce qui existe, il est l’Énergie créatrice intelligente qui lance le cosmos, l’anime, le pousse vers son accomplissement. Il n’est pas là-haut, mais là dedans, intimior intimo meo, plus intime à moi que moi-même, selon la formule de saint Augustin. Ce Souffle, répandu abondamment sur toute l’humanité, rend la loi caduque.

     Souhaitons que le synode convoqué par François nous libère de l’esclavage des lois religieuses, d’une lecture fondamentaliste de l’Écriture, du carcan de nos traditions humaines; que les pasteurs fassent appel à la conscience de la communauté des croyantes et des croyants, conscience animée par le Souffle de Jésus. « Si vous êtes conduits par le Souffle, vous n’êtes plus soumis à la loi.» (Gal 5,18) Il est révolu le temps où le peuple chrétien était considéré comme un troupeau docile sous la houlette cléricale, un peuple chrétien soumis et infantilisé par la religion. L’encyclique Humanae Vitae interdisant les moyens artificiels de contraception a créé une crise profonde et les gens ont dit non, ça suffit. Les paroisses se sont vidées très rapidement. Les gens aspiraient à être autonomes et grâce à cette crise, ils ont pris en main leur vie morale. C’est une avancée importante et irréversible. Les « notables » de l’Église doivent apprendre à écouter ce que le Souffle divin inspire au peuple de Dieu en marche. Ensemble nous pouvons discerner ce que Jésus nous inspire aujourd’hui face à ces réalités difficiles et prendre courageusement des chemins nouveaux. Tout n’est pas écrit dans la bible, tout n’est pas dit. Dieu s’exprime au cœur de chaque personne croyante et libre. Le chemin du respect de la liberté de conscience est ainsi tracé sur les pas de Paul de Tarse  (Gal 5,25). Cessons-donc de regarder vers le ciel et cherchons la volonté du Christ dans nos Galilées de ce monde, là où Il nous attend.

« Si le Souffle nous fait vivre, que le Souffle dirige notre conduite. »

[1] Se « peinturer dans le coin » est une expression qui signifie se mettre soi-même dans une situation embarrassante, délicate, désagréable, fâcheuse, explosive, dangereuse...

[2] Ce sont les 613 commandements de la Torah.

Claude Lacaille

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Chronique précédente :
Et si Dieu n’habitait pas là-haut!

 

 

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