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Justice sociale
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chronique du 20 novembre 2015

 

Révérence et solidarité pour une spiritualité écologique

CNS

Le philosophe Edgar Morin (photo : Martin Bureau / AFP)


Dieu dit : faisons un adam [1] à notre image, comme notre ressemblance, pour commander au poisson de la mer, à l’oiseau du ciel, aux bêtes et à toute la terre, à toutes les petites bêtes ras du sol.
Dieu créa l’adam à son image, le crée à l’image de Dieu; les crée mâle et femelle.
Dieu les bénit et leur dit : à vous d’être féconds et multiples, remplir la terre, de conquérir la terre, de commander au poisson de la mer, à l’oiseau du ciel, à toutes les petites bêtes ras du sol.
Dieu voit tout ce qu’il a fait; c’est vraiment bon.

Genèse 1, 27-31 (Chouraqui)

Je vois le ciel fabriqué de tes doigts,
La lune et les étoiles que tu disposes.
Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui?
Et l’humain que tu examines?
Tu l’as fait presque dieu,
Tu l’as couronné d’importance et d’éclat.
Tu le fais régner sur la construction de tes mains
Tout, tu lui as mis à ses pieds.
Toutes les brebis et les bœufs et aussi les bêtes de champs,
L’oiseau du ciel et le poisson des mers qui trace sa route dans l’eau.

Psaume 8, 4-9

Nous ne sommes pas les maitres de la création

     Lors d’un atelier biblique que j’animais pour des paysans autochtones dans les Andes équatoriennes, nous avions comparé les récits de la création dans la tradition judéo-chrétienne avec les traditions des Premières nations. Le groupe était constitué de paysannes et de paysans qui cultivaient des terres sur les hauts plateaux de la cordillère et qui animaient les communautés chrétiennes de leurs hameaux. Ces gens avaient été profondément choqués à la lecture des récits de la création dans la bible. Ils trouvaient aberrante cette vision de l’homme qui trône au-dessus des autres vivants, ce rôle dominant de conquérant, de maître, de roi qui met tout à ses pieds. Cela contredisait totalement leur spiritualité : ils affirmaient avec conviction que la terre est leur mère, qu’ils traitent avec affection car c’est elle qui les alimente et les soigne. Ils se considèrent comme faisant partie de la grande famille des êtres vivants. Pour eux, les plantes, les animaux et même les montagnes et les pierres sont des frères et des sœurs qu’on doit traiter avec révérence et solidarité. La biosphère est un organisme vivant duquel nous formons partie avec tous les êtres qui s’y trouvent. Les êtres humains, nous faisons partie de la nature, nous n’en sommes pas les maitres.

     « Il faut cesser d’exalter l’image barbare, mutilante, imbécile, de l’homme autarcique surnaturel, centre du monde, but de l’évolution, maître de la Nature » nous rappelle le philosophe Edgar Morin [2]. Cette conception de l’homme et de la création dominait le Moyen-Orient durant l’antiquité et les écrivains de la bible en ont été imprégnés. Dans ces sociétés tributaires, la presqu’entièreté de la population était esclave du roi, corvéable à merci, sans accès à la propriété privée; on s’est donc imaginé la déité sur l’unique modèle connu : un seigneur souverain qui trône sur l’univers, coupé de ce dernier dans un monde invisible entouré de serviteurs faisant la navette entre la cour du roi et le peuple d’en bas.

     La bible est le texte fondateur des religions juive, chrétienne et en partie aussi, musulmane. Nombreuses sont les personnes qui croient que les traditions bibliques sont en quelque sorte responsables du désastre écologique provoqué par l’activité humaine, par le fait d’avoir placé l’être humain comme centre et couronnement de la création, créé exclusivement à l’image et à la ressemblance de la déité : « Tu l’as fait presque dieu; tu as tout mis sous ses pieds » ou encore  « faisons un être de terre à notre image et ressemblance pour commander, pour conquérir et pour remplir la terre. » Edgar Morin décrit ainsi ce type d’humanisme: « c’est celui de la quasi-divinisation de l’humain, voué à la maîtrise de la nature. C’est en fait une religion de l’homme se substituant au dieu déchu… L’homme, dans ce sens, est mesure de toute chose, source de toute valeur, but de l’évolution. Il se pose comme sujet du monde et, comme celui-ci est pour lui un monde-objet constitué d’objets, il se veut souverain de l’univers, doté d’un droit illimité sur toute chose, dont le droit illimité à la manipulation. » Le capitalisme, qui s’est développé en Europe et en Amérique chrétiennes, s’est vu ainsi renforcé dans son arrogance de vouloir soumettre la nature et dominer le monde.

     Il est évident qu’une autocritique, qu’un changement de vision d’impose aux religions, et en particulier à celles du Livre. Les écrits qu’on y trouve sont marqués profondément par une culture anthropocentriste, patriarcale, misogyne et raciste. La bible ne doit pas être prise au pied de la lettre comme un texte tombé du ciel. Il s’agit d’un texte humain et historique situé dans un contexte d’autres époques et d’autres cultures. Ce texte est témoin de la présence du Souffle divin dans les peuples, Souffle qui les a poussés vers la Terre de la liberté, vers un autre monde possible désigné comme règne de Dieu.

Une écologie profonde : le souffle de Dieu voletait sur les eaux

     Le pape François publiait en mai 2015 son encyclique Laudato si sur la sauvegarde de la maison commune, une intervention remarquée au moment où se prépare la conférence de Paris sur le climat dans l’urgence pour en stopper le réchauffement. Ce message accueilli avec enthousiasme par des gens de tous horizons, est aussi une invitation à relire la bible en nous laissant inspirer par l’esprit plus que par la lettre qu’il faut dépasser. Nous devons y rechercher les échos d’inspiration écologique et spirituelle beaucoup plus présents dans le Livre que ce qu’on a coutume d’y déceler.

« Nous savons, en effet, que maintenant encore la création entière gémit et souffre comme une femme qui accouche. Mais pas seulement la création : nous qui avons déjà le Souffle sacré comme première part des dons de Dieu, nous gémissons aussi intérieurement en attendant que Dieu fasse de nous ses enfants et nous accorde une délivrance totale. » (Épitre aux Romains, 8, 22-25)

     Dieu est un Souffle de vie animant la création de l’intérieur vers son accomplissement. « Le Souffle qui gémit dans tous les êtres, le Souffle qui volète sur les eaux, c’est l’impulsion intérieure qui anime le boson, le quark, l’atome, la molécule, la cellule, l’eau, l’air, la plante, les forêts, les animaux, la Terre, les galaxies, l’univers ouvert et infini. L’éco-spiritualité libératrice consiste à unir, au-delà de tous les crédos et les formes, son propre souffle avec le souffle créateur et libérateur qui meut le monde depuis le plus infime jusqu’au plus grand. » [3] La création est constamment en action et nous en sommes au début à chaque instant. « Tout est en relation avec tout et tout est en constante transformation. Le monde continue de se créer. » [4]

Moïse, le législateur écologiste

     La Genèse dit que « le septième jour, Dieu se reposa » (Genèse 2,2). Pourquoi nous chrétiens avons-nous mis de côté cette loi du repos que Moïse considérait comme fondamentale? N’est-il pas venu le temps de reconduire l’obligation du shabbat pour toute la planète, d’établir un jour de repos obligatoire chaque semaine et ce pour les patrons, les travailleurs et travailleuses, la bourse, le commerce, les femmes, les domestiques, les enfants et les animaux? « Le septième jour, repos pour YHWH ton Dieu, tu ne feras aucun ouvrage, toi, ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, ta bête de somme, l’étranger qui vit chez toi. » (Exode 20,10) Et Moïse n’en est pas resté là. Il impose un repos complet pour la terre; « la septième année me sera consacrée, ce sera une année de repos complet pour le sol : vous ne devrez pas ensemencer vos champs ou tailler vos vigne. » (Lévitique 25,4)  Sagesse paysanne, il ne faut pas épuiser la Mère Terre. Et enfin, Moïse prescrit une année de grâce, un jubilé tous les cinquante ans : les gens seront alors libérés de leurs dettes, de leur servage, la réforme agraire redonnera leurs terres aux familles qui les avaient perdues. Chacun retourne chez soi, libre et sans dettes. On éradique la pauvreté et la vie peut reprendre son cours.

     Voilà des législations qui n’auront pas l’heur de plaire au pouvoir financier mondial. Aujourd’hui les pays appauvris sont pris à la gorge pour des dettes qui ont bénéficié à leurs seuls dirigeants. Les banques étranglent des peuples entiers, comme on l’a vu récemment avec la Grèce. Les terres d’Afrique sont achetées par la Chine ou l’Arabie alors que les populations ont peine à s’y alimenter. Le FMI et la Banque mondiale imposent aux gouvernements des ajustements structurels qui pénalisent l’éducation et les soins de santé au profit des banques prédatrices qui accumulent dans leurs coffres. Or une écologie profonde concerne non seulement les espèces menacées, le réchauffement climatique, la fonte des glaciers; elle nous impose aussi de mettre fin à la dictature de la finance et à favoriser le plein épanouissement des sociétés humaines en harmonie avec les territoires qu’elles occupent.

Nous pouvons avoir confiance dans l’avenir qui attend l’aventure humaine

     Y a-t-il de l’espoir? Je termine avec ce texte magnifique de Thomas Berry, pionnier de l’éco-théologie. « Si, depuis les débuts, la dynamique de l’univers a façonné le cours des cieux, allumé le soleil et formé la Terre, si cette même dynamique a produit les continents et les mers et l’atmosphère, si elle a réveillé la vie dans la cellule primordiale et alors a amené à la vie la variété innombrable des êtres vivants, et finalement nous a amenés à la vie et nous a guidé en toute sécurité à travers les siècles turbulents, il existe une raison de croire que ce même processus directeur est précisément ce qui a réveillé en nous notre compréhension actuelle de nous-mêmes et de notre relation à ce merveilleux processus. Sensibilisés à une telle gouverne de par la structure même et le fonctionnement de l’univers, nous pouvons avoir confiance dans l’avenir qui attend l’aventure humaine. » [5] Et le philosophe Edgar Morin ranime notre espérance quand il écrit : « Un peu partout dans le monde apparaissent des myriades de germinations, ruissèlent des myriades de petits courants qui, s’ils se joignent, formeront des ruisseaux qui pourraient confluer en rivières, lesquelles pourraient se réunir en un grand fleuve. Là est l’espoir, fragile mais espoir, et nous devons comprendre que le pari et l’espoir doivent prendre la place des certitudes. » [6]

[1] Un être de terre .

[2] Edgar Morin. « Les deux humanismes », Le Monde diplomatique (octobre 2015), supplément pp. 1-3,

[3] The Spirit who moans in all beings: notes for a liberating eco-spirituality par José ARREGI                 
dans Voices de mars 2014, Deep Ecology, Spirituality and Liberation,  p. 70.

[4] Ibidem, p. 69.

[5] The Dream of the Earth, Thomas Berry p. 137 (Traduction de Daniel Laguitton), tirée d’un essai de Richard Renshaw, intitulé Thomas Berry – Terre sacrée, p. 50 dans Voices.

[6] Edgar Morin, «  Les deux humanismes  ».

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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C’est à cause de la dureté de votre cœur…

 

 

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