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Justice sociale
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chronique du 15 avril 2016

 

Avons-nous réveillé un monstre ?

Léviathan

Illustration : Christian Tiffet


Le soir de ce même jour, Jésus dit à ses disciples : « Passons de l'autre côté du lac. » Ils quittèrent donc la foule ; les disciples emmenèrent Jésus dans la barque où il se trouvait encore. D'autres barques étaient près de lui. Et voilà qu'un vent violent se mit à souffler, les vagues se jetaient dans la barque, à tel point que, déjà, elle se remplissait d'eau. Jésus, à l'arrière du bateau, dormait, la tête appuyée sur un coussin. Ses disciples le réveillèrent alors en criant : « Maître, nous allons mourir : cela ne te fait donc rien ? » Jésus, réveillé, menaça le vent et dit à l'eau du lac : « Silence ! Calme-toi ! » Alors le vent tomba et il y eut un grand calme. Puis Jésus dit aux disciples : « Pourquoi avez-vous si peur ? N'avez-vous pas encore confiance ? » Mais ils éprouvèrent une grande frayeur et ils se dirent les uns aux autres : « Qui est donc cet homme, pour que même le vent et les flots lui obéissent ? »

Mc 4, 35-41 (voir Psaume 107, 23-32)

« Autant réveiller Léviathan, condamner toute aube nouvelle, fermer les volets, se terrer et attendre qu’enfin nous en ayons fini avec la vie. »  (Job 3,28)

     Le saint homme Job a tout perdu : ses grandes possessions, ses nombreux enfants et sa santé. Il sombre dans une intense dépression et maudit la nuit où il est né. Autant en finir avec la vie et réveiller le monstre mythique, le Léviathan primordial embusqué dans les abîmes des mers pour qu’il détruise toute vie. C’est la lecture récente du livre de Naomi Klein Tout peut changer - capitalisme et changement climatique qui m’a ramené à ce texte de Job. A chaque chapitre décrivant l’ampleur de la crise provoquée par les changements climatiques, je me demandais si je voulais continuer à découvrir l’ampleur de l’aveuglement qui nous précipite vers l’extinction et la révolte de Job m’assaillait.

« Pourquoi donner le jour à des souffrants, la vie à des êtres amers? Ils attendent la mort et rien… J’ai peur de la peur qui me gagne, ce qui m’épouvantait arrive. Je n’ai ni répit, ni repos, ni paix. J’accueille le chaos. » (Job 3,20.25)

     J’observe ce qui se passe dans ces territoires magnifiques du Québec et du reste du Canada, ces terres d’une grande beauté, de nature sauvage, de forêts boréales, de saisons extrêmes. Depuis mon enfance, j’ai été émerveillé par la beauté de ce foisonnement de vies, initié par le scoutisme au contact avec la nature. Puis il m’a fallu trente ans de vie avant de découvrir que toute cette beauté était l’habitat de nombreux peuples autochtones depuis des millénaires, des peuples rendus invisibles à nos yeux dans leur exclusion et leur dépouillement. 

     La peur me gagne quand j’entends qu’il faut tripler la production des sables bitumineux pour sauver l’Alberta déjà scarifiée et violée dans ses entrailles par les monstres de fer qui la déchirent et enveniment ses eaux douces abondantes. Je tremble quand j’entends des militants  progressistes prendre la défense des pétrolières et des minières pour sauver ou créer des emplois mortifêres. Je m’inquiète de voir Pétrolia recevoir le feu vert pour la fracturation sur l’île d’Anticosti; de voir le Québec investir des sommes faramineuses dans le Plan Nord pour attirer les compagnies minières qui viendront s’emparer de nos richesses et nous laisser des trous immenses et contaminés comme remercîment. J’enrage de voir Énergie Est avancer stupidement dans son projet de pipeline au Québec, après le rejet catégorique de ses tracés aux États-Unis et en Colombie britannique. Ces oléoducs affecteront une multitude de collectivités le long de milliers de kilomètres, mettant sérieusement en danger une myriade de rivières, de lacs, le fleuve Saint-Laurent, en bref menaçant le patrimoine mondial de l’eau douce, indispensable à la vie sur terre.  « L’économie est en guerre contre de nombreuses formes de vie sur terre, y compris la vie humaine. » [1]  Nous avons réveillé le monstre, Léviathan, capable de détruire la vie sur terre.

     Comment apaiser cette tempête sans précédent? Comment s’attaquer à la collusion entre les États et les grandes entreprises multinationales qui imposent leurs lois et leurs agendas à tous les paliers de gouvernements? Comment chasser les démons du capitalisme déréglementé qui pollue nos esprits avec son idéologie de la croissance infinie. Comment démasquer ces esprits contaminés par la croyance religieuse que l’humanité est maitresse de la nature et qu’elle peut en user et en abuser à volonté? « Peuplez toute la terre et dominez-la; soyez les maitres des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur la terre. » (Gn 1,28)

Exorciser les idéologies pernicieuses

     Jésus de Nazareth nous est présenté principalement comme un exorciste, qui guérit l’humanité en chassant les esprits mauvais. Cela apparait clairement dans l’évangile de Marc dès le premier jour de son ministère à Capharnaüm. Son premier geste consiste à libérer un homme d’un souffle contaminé. Les gens effarés commentent : « Il commande aux souffles impurs et ils lui obéissent. » (1,27) « La ville entière était rassemblée devant la porte. Il en guérit beaucoup, atteints de toutes sortes de maux, et expulsa beaucoup de démons. » (1,34) Quand on l’accuse de procéder avec un pouvoir démoniaque, il répond : « Comment l’Adversaire pourrait-il chasser l’Adversaire? » (3,22) C’est par le pouvoir de Dieu qu’il purifie le monde de ses esprits mauvais et dans une formule radicale, il se propose de pénétrer dans la maison de l’homme fort et de le ligoter. (Marc 3,27) Oui, Jésus est venu sauver la vie des malades et des pauvres en neutralisant l’homme fort, en chassant les mauvais esprits qui empoisonnent la vie.

     Notre mentalité moderne est troublée par cette mission d’exorciste de Jésus. Les évangiles nous présentent pourtant la mission de l’Église comme étant celle d’expulser les mauvais esprits. « Ils furent douze qui montèrent le rejoindre… pour être envoyés en son nom et avoir autorité pour chasser les démons. » (3,15) Le Seigneur Jésus nous y envoie comme Souverain de l’univers. Son pouvoir est cosmique et s’étend même aux forces de la nature. Relisons le récit de la tempête apaisée : comme dans le psaume 107, il exorcise l’ouragan. « Jésus se lève, menace le vent puis interpelle la mer : Silence! Du Calme! Le vent tombe, c’est la grande paix. »

     Qui sont les partisans du prophète qui prennent au sérieux d’expulser de notre monde les souffles contaminés? Qui sont ces groupes de personnes qui cherchent à enchainer l’homme fort, qui veulent calmer la tempête et rétablir la paix sociale? Il ne s’agit pas de dire : « non, pas chez nous », il faut un non radical aux énergies fossiles pour stopper le réchauffement planétaire. Devant la collusion des gouvernements avec le pouvoir des multinationales, cette lutte contre les énergies fossiles devient un mouvement pour la démocratie. « Si l’on souhaite vraiment régler la crise du climat, on doit d’abord cesser de l’aggraver… La première étape pour sortir d’un trou consiste à arrêter de le creuser. » (Esperanza Martinez, Équateur) [2]

     L’appel de François dans sa lettre sur « la sauvegarde de la maison commune » nous affirme que « la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure…. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne. » [3] Et le pape de poursuivre : « On répond aux problèmes sociaux par des réseaux communautaires, non par la simple somme de biens individuels…. La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est aussi une conversion communautaire. » Ensemble, disons à Léviathan : Tais-toi, sors de notre monde!

[1] Naomi Klein, Tout peut changer, Lux/Actes sud 2015 p. 33.

[2] Esperanza Martinez du mouvement Amazonie sans pétrole, idem. p. 347.

[3] Laudato si, Lettre encyclique du pape François, 2015, no 217-218.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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Une économie qui tue

 

 

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