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Justice sociale
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chronique du 17 juin 2016

 

La Bible n’est pas un livre d’histoire

Évolution de la Palestine depuis 1946


Le 22 février dernier, le Parlement du Canada a adopté une motion déposée par le Parti conservateur qui condamne le mouvement international de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), visant à faire pression sur Israël pour qu’il respecte les droits des Palestiniens. La motion, qui s’inscrit dans le cadre d’une stratégie plus large observée dans d’autres pays occidentaux, a été adoptée avec le soutien d’une grande majorité des élus du Parti libéral.

Mouloud Idir, revue Relations, le 15 mars 2016

Que, étant donné l’amitié et les relations économiques et diplomatiques de longue date qui unissent le Canada et Israël, la Chambre rejette la campagne du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui encourage la diabolisation et la délégitimation de l’État d’Israël, et prie le gouvernement de condamner toute tentative de la part d’organismes, de groupes ou de particuliers du Canada de promouvoir le mouvement BDS, ici et à l’étranger.

Motion votée au parlement canadien le 22 février 2016

J’appuie personnellement de tout mon cœur le mouvement de la société civile palestinienne qui exige de mettre fin à l’apartheid et à la colonisation de leur territoire par la force armée d’occupation d’Israël. Cette campagne n’a rien d’antisémite : elle ne critique pas les Juifs en tant que Juifs mais des politiques de l’État israélien régulièrement condamnées par l’Assemblée générale des Nations unies. Passionné par la Bible hébraïque et le message de Jésus de Nazareth, j’aimerais faire le point sur le concept d’Israël qui traverse les Écritures sacrées du judaïsme depuis Moïse jusqu’au prophète Nazaréen et ses partisans.

     On prétend que l’État juif qui occupe aujourd’hui la majeure partie de la Palestine serait la renaissance de l’Israël ancien que la Bible nous décrit sous le règne de David, dix siècles avant notre ère. L’historien israélien Shlomo Sand, professeur à l’Université de Tel Aviv, fait remarquer que « les spécialistes de l’histoire juive ne se sont pas, jusqu’à présent, confrontés à certaines questions peut-être surprenantes au premier abord mais néanmoins fondamentales. « Un peuple juif a-t-il réellement existé pendant plusieurs millénaires là où tous les autres peuples se sont fondus et ont disparu? Comment et pourquoi la Bible, impressionnante bibliothèque théologique dont personne ne sait vraiment quand ses parties ont été rédigées et ordonnées, est-elle devenue un livre d’histoire crédible qui décrit la naissance d’une nation? » [1]

La naissance de l’Israël ancien ?

     « Selon l’ouvrage majeur de Norman K. Gottwald, The Tribes of Yahweh [2], les proto-Israélites représentaient une assemblée dépareillée de Cananéens marginaux, comprenant les paysans « féodalisés » (ḫupšu), les mercenaires ʿapiru, les aventuriers, les bergers en transhumance, les fermiers organisés en tribus, les nomades éleveurs de bétail (š3św = šosu) et probablement aussi les artisans itinérants et les prêtres désaffectés. Israël émanait d’une scission radicale d’avec la société cananéenne et non pas d’une invasion, ni d’une migration externe. » [3] Autrement dit, les études de Gottwald concluent au fait que l’apparition des tribus israélites dans les montagnes de Judée proviendrait de secteurs pauvres et opprimés de la société cananéenne qui se révoltèrent contre des cités-États dominées par les rois et réorganisaient leur vie dans les montagnes et aux frontières du désert. Leur organisation sociale était basée sur la solidarité : occupation communale des terres, pas d’impôts ni de redevances, pas de service militaire ni de corvées, pas de roi mais une assemblée populaire, etc. Une sorte de communisme primitif quoi! Selon ces études, durant la période située entre 1250 et 1050 avant l’ère chrétienne, des tribus formées d’une diversité de peuples et de groupes sociaux se sont alliées pour défendre leur mode de vie communautaire en marge des royaumes établis dans la région sous l’appellation d’Israël. Il n’y aurait donc pas eu invasion et conquête de la Palestine par une armée israélite sous la direction de Josué. « Les tribus israélites qui firent alliance en Canaan n’avaient pas pour but de repousser tous les Cananéens ; ou du moins elles étaient pleinement conscientes qu’elles n’étaient tout simplement pas en position de s’emparer de toutes les villes fortifiées cananéennes. Leur objectif pratique était de sécuriser des zones indépendantes de productivité socioéconomiques libres de domination politique de la part des cités-États cananéennes adjacentes. » [4]

Le royaume de David

     Les sionistes modernes, juifs comme évangélistes chrétiens, rêvent de rétablir le royaume de David en Palestine. David fut un dirigeant guerrier qui, avec ses trente preux, défendait le mode de vie des tribus. Devant l’invasion de populations venues de Crète, les Philistins, les tribus israélites se sont trouvées menacées par ces vaillants soldats d’infanterie qui venaient leur faire la guerre dans les montagnes. Les envahisseurs dominaient l’art du fer et utilisaient des armes redoutables. Tous connaissent l’histoire du petit David luttant à armes inégales contre le géant Goliath; c’est avec une fronde qu’il terrassa le terrible guerrier. Devant cette menace à la survie des tribus israélites, celles-ci eurent recours à David pour qu’il organise une levée de troupes plus permanentes afin de faire face à l’agression. David s’empara de la ville des Jébuséens, des Cananéens également menacés par les Philistins. Il en fit sa capitale qu’on nomma Jérusalem construite sur le mont Sion (d’où le mot sioniste attribué à l’idéologie de ceux qui veulent rétablir le royaume de David en Palestine). Ce n’est qu’au temps de Salomon, le fils le David, que s’établit un royaume à l’image des autres royaumes de l’époque. Sous la monarchie, les tribus furent restructurées alors en départements géographiques soumis à l’impôt, à la corvée et au service militaire obligatoire.  À la mort du roi Salomon, les dix tribus du nord de la Palestine firent sécession, excédées par les impôts et l’oppression du régime de Jérusalem. Le royaume de David s’appela Juda par la suite et comportera un minuscule territoire dans le sud du pays autour de Jérusalem.

     Dans la Bible que les sionistes juifs et chrétiens semblent confondre avec un livre d’histoire moderne, la vie publique des successeurs de David est relatée dans les deux livres des Rois et dans les deux livres des Chroniques. Ces écrits sont nettement défavorables à la monarchie. Tous les prophètes de la Bible ont pris position contre les rois et leurs abus. Souvenons-nous du  prophète Nathan. David s’était épris d’une femme étrangère mariée au général Urie, le Hittite. Il envoie au front le général de son armée et complote pour que ses collaborateurs l’exposent à l’ennemi et le laissent périr. Le prophète Nathan condamne sévèrement le roi au nom de Dieu : « Tu as fait périr par l’épée Urie, le Hittite pour lui prendre sa femme et l’épouser… Eh bien, dès maintenant, la violence ne cessera jamais de régner dans ta famille, puisque tu t'es moqué de moi. » (2 Samuel 12,9.10)

     Un jour le prophète Samuel se fit dire par le peuple : « Tu es vieux maintenant et tes fils ne suivent pas ta voie. Donne-nous à présent un roi pour qu’il nous gouverne, comme dans toutes les autres nations. » Irrité par cette pétition, Samuel apporta la réponse de Dieu : Finie la liberté!

« Voici le droit du roi qui va régner sur vous. Vos fils, il les prendra et les affectera à son char et à ses chevaux. Ils courront devant son char. Il en fera des chefs de mille et des chefs de cinquante. Il leur fera faire ses labours et ses moissons, fabriquer ses armes de guerre et les équipements de son char. Vos filles, il les prendra comme parfumeuses, cuisinières, boulangères. Le meilleur de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers, il le prendra pour le remettre à ses serviteurs. Il prélèvera un dixième de vos grains et de vos grappes pour le donner à ses eunuques et à ses serviteurs. Vos serviteurs et vos servantes, vos jeunes gens les meilleurs, vos ânes, il les prendra pour les faire travailler à son service. Il prélèvera un dixième de votre bétail. Et de vous, il fera ses esclaves. Ce jour-là, vous vous plaindrez de ce roi que vous vous serez choisi, mais ce jour-là Yahweh ne vous répondra pas. » (1 Samuel 8,11-18)

La Bible n’est pas un livre d’histoire

     La collection de livres que regroupe la Bible hébraïque est un trésor de spiritualité, de théologie et d’enseignements de sagesse qui a inspiré et guidé les adhérents au judaïsme et au christianisme à travers les âges et les continents. Les prophètes ont critiqué âprement les chefs religieux et politiques lorsqu’ils déviaient de la justice et de la vérité. Voilà pourquoi le roi Achab criait à Élie : « C’est donc toi, le perturbateur d’Israël? » Faudrait-il que le gouvernement de l’État moderne d’Israël, qui se prétend l’héritier du judaïsme, se croie à l’abri de toute critique?

     Je comprends que l’Israël moderne veuille se donner des héros, en grandissant leurs figures et en fabricant des mythes générateurs d’unité. Mais la Bible n’est assurément pas un livre d’histoire moderne. Non, la création du monde ne s’est pas faite en sept jours! Non, les Israélites rangés en bataille ne sont pas entrés en Terre promise pour la conquérir! Non, le règne de David n’a pas établi un royaume éternel sur une terre promise! Bien au contraire, sa dynastie a conduit le peuple à la déportation à Babylone. Vouloir rétablir un règne mythique de David qui régna sur une partie de la Palestine il y a plus de trois millénaires n’est justifiable par aucune prophétie ni ne justifie nullement les  horreurs infligées à la population palestinienne ni l’occupation forcée du territoire par des colons venus d’ailleurs.

     Monsieur Netanyahu et ses supporters prétendent que l’État d’Israël parle au nom des Juifs du monde entier et que, par conséquent, être antisioniste, c’est être antisémite; que critiquer la politique israélienne, c’est dénigrer non seulement le gouvernement israélien, mais la population du pays et l’ensemble de tous les Juifs. Les Palestiniens d’Israël et ceux des Territoires occupés ont tous le droit de vivre en égaux à côté des Israéliens et d’être reconnus comme des citoyens à part entière . « Le boycott n’est pas une arme contre les Juifs israéliens. Bien au contraire, il les aide à faire un jour partie intégrante de la région du monde où leurs aînés ont été autrefois conduits, à quitter leurs habits de colons pour devenir des égaux vivant enfin en paix dans un pays réconcilié. » [5] Pour cela, il faudra que les dirigeants israéliens imitent l’humilité du roi David devant les reproches du prophète et reconnaissent leurs égarements : « J’ai péché contre Yahweh. » (2 Samuel 12,13) Et s’ils veulent vraiment s’inspirer de la Bible, voici un texte qui pourrait les éclairer : « Quand un étranger viendra s'installer dans votre pays, ne l'exploitez pas ; au contraire, traitez-le comme s'il était l'un de vos compatriotes : vous devez l'aimer comme vous-mêmes. Rappelez-vous que vous avez aussi été des étrangers en Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lévitique 19,33-34) Mais je crains que l’historien israélien Shlomo Sand n’ait raison quand il écrit : « J’ai grandi dans un pays où de splendides athées, s’appuyant sur un livre théologique et au nom d’un Dieu déjà mort selon eux, se sont approprié la terre de gens, qui, dans leur malchance, croyaient en un Dieu encore vivant. »

[1] Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Fayard 2008, p. 34.

[2] Norman K. Gottwald, bibliste américain, a publié en 1979 un ouvrage important intitulé The Tribes of Yahweh – Sociology of the Religion of Liberated Israel, 1250-1050 B.C.E., New York, Orbis Books, 1979.

[3] « Que reste-t-il des théories sociologiques de George Mendenhall et de Norman Gottwald sur l’installation des tribus israélites au pays de Canaan ? » par Daniel Bodi, YOD, Revue des études israélites et juives. Daniel Bodi est professeur au Département d’études hébraïques de l’Université de la Sorbonne à Paris.

[4] Norman K. Gottwald, The Tribes of Yahweh, id. ibid. p. 174.

[5] Eric Hazan, « Le boycott d’Israël n’est pas de l’antisémitisme », Libération.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
S’en prendre aux plus pauvres, ça va faire!

 

 

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