(Joel Muniz/ Unsplash)

D’abord servir. Ensuite, on verra…

Mario BardMario Bard | 21 septembre 2020

 « Que dire du serviteur fidèle et sensé à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison, pour leur donner la nourriture en temps voulu? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir. » (Matthieu 24,45-46)

Les banques alimentaires du Canada sont inquiètes. Selon une information diffusée par la première chaîne de la radio de Radio-Canada1 le 27 août dernier, plus d’un million de Canadiens ont eu recours en 2019 aux services de l’une de ces ressources au moins une fois par mois [1].

Pendant ce temps, le magazine Forbes nous informe que, dans la décennie qui a suivi la récession de 2008, le nombre de milliardaires a triplé. Selon ce média spécialisé dans le suivi des personnes riches et célèbres, ils sont maintenant 2095 dans le monde à détenir au moins 1 000 000 000 000 de dollars. J’ai écrit le chiffre pour que, visuellement, nous soyons bien au fait qu’il est gros, long, démesuré.

Nous pouvons lire dans le même magazine : « Au cours de la décennie qui a débuté en 2010, juste après la Grande Récession, la croissance économique a explosé et les marchés boursiers du monde entier ont enregistré des années de hausses significatives. Cela a contribué à alimenter une croissance énorme des grandes fortunes. [2] »

Merci à la célèbre publication de nous informer à ce sujet. Donc – bonne nouvelle ! – de l’argent, il y en a! Alors, gare à celui ou celle qui me répète inlassablement que nous n’en avons plus pour les services publics. Cette personne me répliquera peut-être : C’est leur fortune, ils peuvent bien en faire ce qu’ils veulent. Et elle aura parfaitement raison. En effet, pourquoi ces milliardaires qui ont réussi à s’élever au-dessus de nous tous prendraient-ils le temps de repartager de manière équitable le fruit de leur labeur? Après tout, l’intelligence de leurs investissements parle en soi-même de leur supériorité…

Le monde n’est pas égal et peu d’entre nous s’en sortent finalement. C’est une vision. Est-ce celle de notre Seigneur Jésus, devenu Christ par la grâce de Dieu?

Quoi faire de tout cet argent?

Partager ou non? Tout garder et saupoudrer quelques dollars à Noël ou non? Après tout, avec les nouvelles mentalités qui accompagnent la quintessence du néolibéralisme, partager n’est pas une option terriblement valable. L’ambiance actuelle nous invite plutôt à tout garder pour soi. Rien n’est trop beau pour soi. Et, nous devons prendre soin de soi. D’abord. Nous le valons bien pour paraphraser les publicités de l’un des multimilliardaires du cosmétique.

Savons-nous servir l’essentiel de l’Évangile qui est l’autre? Savons-nous être le serviteur fidèle à tous les moments de notre vie? La pandémie nous force à réfléchir. Si nous n’avons pas de travail fixe ou bien si nous sommes des travailleurs de la précarité, elle devient un véritable danger. Pourtant, depuis les débuts de cette pandémie, nombreux ont été les chantres du sacrifice. L’économie avant tout. L’argent, qui sert le pouvoir de certains, et ensuite… tant pis pour soi.

Et si j’étais milliardaire…

Ceci étant dit, quelle serait ma réaction si j’étais milliardaire? Si j’étais l’heureux chanceux d’une loterie qui me donnerait même l’occasion de ne gagner qu’un centième de cela? La question est importante. Après tout, je ne suis pas moins humain que ces personnes. Quelle serait ma réaction? Nourrir ou bien me servir de manière égoïste et sans partage?

Le romancier étatsunien William S. Burroughs écrivait : « Qu’est-ce que la machine argent mange? Ça mange la spontanéité, la jeunesse, la vie, la beauté, et par-dessus tout, ça mange la créativité. Ça mange la qualité et ça chie de la quantité. » Le Seigneur aussi parle de l’action de manger et de la nourriture. À ce sujet, Jésus dit : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire. » (Matthieu 25,35)

Si j’étais milliardaire, est-ce que cela serait l’une de mes préoccupations : nourrir, être sûr que tous aient un toit, des vêtements, de quoi manger et boire, et surtout, les moyens d’être heureux en se donnant une éducation digne de ce nom? Même millionnaire ou à peine avec cent mille dollars dans mes poches : quoi faire? Me gâter sans arrêt ou bien faire en sorte que le plus de gens possible autour de moi aient l’essentiel? Serais-je ce serviteur que le maître trouvera à l’ouvrage? Ou bien l’homme riche de la parabole de Lazare?

En ces temps où l’esprit de Trump fait des émules – visitez les réseaux sociaux et vous serez surpris d’y retrouver de bons chrétiens justifiant leur manque de générosité – il est temps de se demander si je suis un serviteur affairé à la besogne de nourrir et de faire en sorte que nos systèmes économiques incluent réellement les besoins de base.

Vers une société sans bien commun?

Mais le travail est ardu. Dans les pays riches, une partie importante de la population préfère manifester pour sa liberté de porter ou non un masque. Alors, laissez-moi vous raconter une petite histoire ; vraie et sans comploter pour les fins de ce texte.

Une dame correspond avec moi sur Messenger. Une dame chrétienne du Cameroun qu’un jour, j’ai simplement dirigé vers les Dominicaines de Douala alors qu’elle était en crise. Au début de la pandémie, nous avons partagé quelques messages sur ce que nous vivions, dont le fameux confinement. Je lui ai partagé que ma crainte était de ne pouvoir sortir pour aller marcher au moins une heure par jour. Sa crainte à elle m’a obligé à tout remettre en perspective. En effet, elle craignait la famine. 

Dans certains pays où le système de santé est encore en plein développement, les autorités ont préféré interdire toute sortie plutôt que d’avoir à gérer des hôpitaux surchargés. Pourtant, ils sont encore nombreux à devoir faire leurs emplettes tous les jours, faute d’avoir un réfrigérateur ou bien un congélateur dans la cuisine. Aller au marché devient donc essentiel. Heureusement, ses craintes ne se sont pas concrétisées et la famine n’est pas survenue. Du moins, chez elle…

Cette pandémie nous oblige tous à revoir nos priorités. Mais, dans quel esprit nous situerons-nous quand elle se terminera? Retournerons-nous, contents et repus, à nos habitudes égoïstes? Ou bien chercherons-nous à devenir meilleurs, à devenir serviteurs les uns pour les autres?

La réponse à ces questions se trouve d’abord dans nos cœurs, bien sûr. Et, pour la personne qui se prétend chrétienne, dans l’Évangile et sa mise en pratique. Le Seigneur nous trouvera-t-il au service de notre prochain le jour où il viendra? Servirons-nous nos seuls intérêts ou bien marcheront nous ensemble, cahin-caha parfois, vers le bien commun? Un élément est pourtant facile à mettre en pratique : d’abord servir. Ensuite, on verra…

Mario Bard est responsable de l’information au bureau canadien de l’Aide à l’Église en détresse (AÉD Canada).

[1] Marjorie April et ses invitées, « L’insécurité alimentaire et la rentrée 2020 ». Segment de l’émission Y a pas deux matins pareils du 27 août dernier.
[2] « Ces pays où le nombre de milliardaires explose », Forbes (26 avril 2020).

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.