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La lampe de ma vie
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chronique du 22 février 2002
 

Récit, histoire et théologie

 

QuestionÀ l'émission InterBible, de Radio Ville-Marie, un auditeur a posé une question fort intéressante: « Comment un récit biblique peut-être à la fois historiquement faux et théologiquement vrai? Par exemple le massacre des enfants en Matthieu. » (Monsieur André)

RéponseBeaucoup d'éléments entrent en jeu dans la réponse que je vais tenter de vous donner. Mais, si vous me le permettez, je commence par vous raconter une histoire.

     J'étais petit quand un jour je me suis battu avec un voisin de la rue « ennemie ». C'était le grand Gaby. Il m'avait aggripé par le collet et me tenait fermement en menaçant de me donner « toute une râclée ». Comme il était plus gros et plus fort, je n'essayais même pas de me défendre. Mais je lui disais: « Je commence à m'impatienter. Je suis en train de me fâcher. » Peu impressionné, il se tournait plutôt vers mes amis en les menaçant de leur « régler leur compte », à eux aussi. Or, j'avais suivi des cours de judo. Me servant de son poids et de sa grosseur, je lui administre une jambette qui l'envoie rouler dans le gravier.

Des éléments manquants ou imprécis

     Je n'ai aucun souvenir de la suite. Le tout s'est-il réglé à l'amiable? Étais-je sans connaissance? Plus rien. Plus tard, on m'a dit que l'événement avait eu lieu dans une autre ruelle que celle dont j'avais le souvenir. Et que ce n'était pas le grand Gaby mais plutôt un certain Stéphane. Il était grand et fort, mais peut-être pas tout à fait comme je l'imaginais. Puis tout à coup, nous avons tous réalisé que ma mémoire avait emmêlé deux événements différents, mais qui comportaient certains points de ressemblance.

     Lorsque nous parlons du monde biblique, nous ne parlons pas de n'importe quel écrit. La matière première, c'est la mémoire d'un peuple. Or, la mémoire retient et organise, tout particulièrement dans un domaine comme la foi, de manière à donner du sens à ce qui arrive. Ainsi, dans mon histoire, je me souviens parfaitement de ce que nous en avons tiré comme leçon de vie: « Il ne suffit pas d'être grand et fort, pour être vainqueur. Il faut plutôt savoir intervenir au bon moment et à la mesure de nos capacités. »

Des sources variées et crédibles

     La très grande majorité des récits bibliques sont fondés sur une base historique, au sens de « quelque chose qui s'est déroulé dans le temps et dans l'espace ». Mais de récits détaillés de ces événements, à la manière « journalistique », nous n'en avons pas. Faute de sources variées - la base de la recherche historique -, il nous est difficile de savoir ce qui s'est passé exactement. Ainsi, dans mon histoire, c'est le témoignage d'amis qui m'a permis de préciser ce qui s'est passé. Dans le cas des récits bibliques, nous pouvons rarement les confronter avec des sources d'information extérieures.

     Il est donc très difficile de dire « cet événement ou cet épisode évangélique » n'a pas de fondement historique. Les sciences historiques, lorsqu'elles se penchent sur les textes sacrés, peuvent tirer un grand nombre de renseignements sur les événements, la culture, la vie de l'époque, etc. Mais les historiens peuvent rarement affirmer avec certitude que cet événement a eu lieu ou non, faute de sources variées. Mais ils peuvent cependant dégager de leur nalyse une très forte probabilité. C'est le cas du massacre des saints innocents, que vous citez (Mt 2,16).

     Avec ce récit, le problème que nous avons est très simple: seul l'évangile de Matthieu en parle. Ni les textes bibliques, ni les autres documents contemporains signalent cet événement. S'il s'était produit, on n'aurait pas manqué de le souligner ailleurs. Il y a donc un premier problème: le silence des sources... De plus, Matthieu, le seul qui raconte l'événement, le fait dans un contexte fortement marqué par une vision théologique. Le massacre des saints innocents, et la fuite en Égypte (Mt 2,13-21) sont très colorés par des citations de la Première alliance. Le message est clair: Jésus, le deuxième Moïse, inaugure une nouvelle phase de l'histoire du peuple de Dieu. Nouveau départ.

Des liens des profondeurs

     Quelque ait été l'imprécision de mon souvenir, le récit de ma « bagarre » avait trouvé une place en moi. J'y trouvais un sens, une leçon de vie. Et c'est pour cela qu'elle m'habite et que je la raconte encore, après toutes ces années. La mémoire fait des liens qui étonneront toujours. Nous, dans notre société scientifique, nous considérons comme de la plus haute importance l'exactitude, au plan historique. Parfois, au détriment du sens que l'on peut en dégager.

     Or, les écrits bibliques sont l'héritage spirituel de générations et de générations de croyants. Le peuple d'Israël a fait peu de traité ou d'ouvrage « dogmatique ». Ce qu'il comprend, il le raconte. Des récits, en apparence anodins, recèlent des trésors de sens et de compréhension du monde. Le peuple avait un certain souci de raconter des événements qui s'étaient produits, mais il faut avouer que l'exactitude n'était pas leur valeur première. Ces récits donnaient vie, transmettaient la vie. Ils condensaient tout ce qu'Israël, et par la suite l'Église des origines, comprenait de Dieu et de sa longue marche. Les événements, tels que racontés, étaient porteurs de sens.

     Vous pouvez me dire: « Ce n'était pas Gaby mais Stéphane! » Je vous répondrai: « C'est possible. Je ne m'en souviens plus très bien. Mais il y a une chose que j'ai alors appri et que vous ne pouvez pas m'enlever: j'ai compris ce jour-là qu'il ne suffisait pas d'être grand et fort, pour être respecté. Il faut être rusé et intelligent. Savoir quand intervenir. »

     Certains détails peuvent nous faire défaut, c'est vrai, mais la pertinence d'une histoire était - et est encore! - jugée par sa capacité d'éclairer le présent. Voilà pourqoi, elle peut être vraie spirituellement et théologiquement. L'éclairage de vie que je tire de ce récit, et de combien d'autres, est si profond et si vrai au niveau du sens, que la question historique, même si elle est importante et intéressante, m'apparaît alors secondaire.

Guylain Prince, ofm

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Une nouvelle traduction de la Bible? Qu'en penser?

 

 

 

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