Le codex Sinaïticus (photo © British Library).

2. Découvertes surprenantes

Roland BugnonRoland Bugnon, CSSP | 17 octobre 2022

Rappel : Flavia et Lucius sont arrivés à Césarée et se sont installés dans la maison de Cornelius, centurion de l’armée romaine, au service du gouverneur. Le temps des visites, surprises et premières discussions est venu.

Deux jours ont passé. Appelé auprès du gouverneur pour régler quelques affaires urgentes, Cornelius a confié sa sœur et son beau-frère à sa femme. Profitant du soleil de printemps, celle-ci les invite à faire un tour de ville. Césarée n’a pas une longue histoire derrière elle. Construite par Hérode le Grand qui voulait en faire sa capitale et un port qui lui permettrait de commercer avec les grandes cités du bassin méditerranéen, elle n’avait pas eu le temps de se développer. Rome l’avait récupérée le jour où le pouvoir impérial avait décidé d’administrer directement la province de Palestine. En plus du palais du gouverneur, un théâtre avait été construit, ainsi que les thermes et un imposant aqueduc qui alimente la ville en eau. Près du port s’élevait un imposant centre commercial où étaient stockées toutes les marchandises venues d’Orient, en attente d’être embarquées dans les navires qui ravitaillent Rome. Après avoir salué le gouverneur et son épouse et visité son palais, Aurelia conduit ses hôtes vers un marché haut en couleurs et en senteurs nouvelles. Flavia découvre avec émerveillement les échoppes des marchands d’étoffes, tandis que Lucius tente d’acclimater ses oreilles à des sonorités étrangères. Si la langue parlée par tous est le grec, les marchands discutent entre eux en araméen, la langue commune à toute cette région. Les deux voyageurs constatent qu’Aurelia est bien connue de ces derniers, mais également de personnes de plus humble condition qui s’arrêtent pour la saluer. Beaucoup font preuve d’un grand attachement et elle, durant ces brefs échanges, reste d’une grande sérénité. Cela intrigue Flavia ; comment se fait-il que la femme d’un centurion romain soit aussi bien acceptée par la population locale ?

De retour à la maison, Aurelia laisse ses hôtes pour vaquer à ses occupations. Elle les invite à s’installer dans le jardin, à l’ombre des palmiers. Flavia parcourt les lieux en s’arrêtant pour admirer les magnifiques massifs d’hibiscus et de bougainvilliers. Lucius décide de se donner un temps de lecture. Il a repéré quelques volumes laissés à l’abandon sur un meuble du salon. Il serait étonnant qu’il n’y trouve pas un ouvrage qui fasse son bonheur. Il en soulève un, écrit en grec, cherche son auteur sans pouvoir le trouver. Curieux de découvrir les goûts littéraires de son beau-frère, il l’emporte. En attendant le retour de Cornelius, il aura le temps de le parcourir un peu. Les traces de doigts, en bas de page, disent qu’il est souvent utilisé. De loin, Aurelia surprend le geste de son beau-frère et reconnaît le livre qu’il prend. Dans un premier mouvement, elle veut intervenir, puis se ravise et murmure :

Si Lucius veut lire les saintes écritures d’Israël, c’est son affaire. Cela promet de grandes discussions.

Flavia poursuit sa promenade, mais éprouve le sentiment diffus d’un manque. Elle réalise brusquement qu’elle n’a vu aucune statue des divinités tutélaires chères au cœur des Romains, ni aucun autel où déposer une offrande. Que se passe-t-il ? Elle se rend compte également que ni Cornelius, ni Aurelia ne portent d’amulettes. Le seul bijou qu’elle a vu au cou de sa belle-sœur, est une petite figurine en forme de poisson. Par ailleurs, elle trouve que sa relation avec les serviteurs de la maison est identique à ce qu’elle a constaté au marché. Intriguée, elle se dit qu’il faudra éclaircir tout cela. De retour auprès de Lucius, elle le trouve plongé dans la lecture de son livre ; il sursaute lorsqu’elle pose sa main sur son épaule. Se penchant au-dessus de lui, elle tente de déchiffrer quelques mots de la page ouverte pour en saisir le contenu.

Que lis-tu donc de si intéressant pour que tu ne m’entendes pas arriver ?

Lucius referme délicatement le gros volume, le dépose sur la tablette devant lui et regarde sa femme. Le plissement de quelques rides de son visage lui font comprend qu’il se pose des questions auxquelles il n’a pas trouvé de réponse. Curieuse et insistante, elle l’interroge à nouveau.

Alors, ce livre, c’est quoi ? Tu ne veux pas me répondre ?

– Flavia, si je le savais, je te le dirais. Je l’ai trouvé près de la cheminée, à côté de la petite mosaïque représentant un poisson. Il y est question de l’origine du monde, de l’intervention d’un dieu qui crée toutes choses par la seule force de sa parole. Je n’ai rien lu de pareil, jusqu’à ce jour. Cela n’a rien à voir avec les dieux que chantent nos poètes. Peut-être contient-il la doctrine d’une de ces sectes qui viennent d’Orient. Cornelius va nous renseigner. Rappelle-toi ! Dans l’un de ses derniers messages, il nous disait avoir enfin trouvé la voie qu’il cherchait depuis longtemps. A son retour, on en saura un peu plus.

Tu as raison, Lucius ! Je m’en souviensmaintenant ! Lorsque je lui ai annoncé notre arrivée prochaine, je lui ai même dit que nous allions enfin connaître ce qu’il a découvert et ne peut dire par écrit. As-tu remarqué les changements de leur mode de vie. Ce matin, en nous faisant visiter la ville, Aurélia a évité tous les temples ; dans le jardin, je n’ai trouvé aucun autel où déposer une offrande aux dieux protecteurs de la maison. Il s’est passé quelque chose ici. Tu as parlé d’une mosaïque représentant un poisson. As-tu remarqué que le seul bijou porté par Aurelia est une simple poterie qui représente également un poisson ? Il y a une époque où ma belle-sœur était nettement plus coquette... Que s’est-il donc passé ? Sont-ils entrés tous deux dans une secte ? Ce livre est-il la clé du mystère ? J’espère que rien de grave n’est arrivé !

Dissimulée par un massif d’ibiscus particulièrement exubérants, dont elle voulait prendre quelques branches pour orner la salle, Aurelia arrête son geste et surprend une partie de la conversation. Désireuse d’éviter toute dissimulation, elle prend son bouquet et vient jusqu’à eux, un large sourire sur les lèvres :

Rassurez-vous, rien de grave ne s’est passé ici entre Cornelius et moi ! Je vous ai entendu parler en venant chercher quelques fleurs. Vos conclusions sont justes. Un événement a bouleversé nos existences. Ce livre et le petit poisson, que je porte autour du cou, en sont les signes. Attendons le retour de Cornélius ; il ne devrait plus tarder maintenant. Nous pourrons bientôt passer à table et nous aurons tout le temps pour parler de ce qui a si radicalement transformé nos vies. Pour étancher votre soif, je vais vous faire préparer un peu de thé venu de la lointaine Arabie. C’est une boisson délicieuse ! Je reviens tout de suite.

Sans leur laisser le temps de l’interroger, Aurelia se retire, laissant Flavia et Lucius avec leurs questions. Ils se sentent bien tous les deux et un courant d’air marin leur procure une agréable fraîcheur. Poursuivant sa réflexion, Lucius pense à tout ce qui a changé dans la vie de son beau-frère. Il l’a connu plus tourmenté, parfois violent ou bagarreur. Celui qui les a accueillis est devenu un homme paisible qui parle à ses serviteurs avec beaucoup de bonté. Il fait part de ses réflexions à sa femme qui le confirme dans son sentiment. Entre-temps, Aurelia est revenue avec de quoi se désaltérer. Assis sur son siège, Lucius se repose, pense aux pages du livre qu’il a lues, tandis que Flavia admire le ciel qui se teinte peu à peu de toutes les couleurs du soir.

Sur une table basse, Aurelia a disposé les différents plats préparés par le cuisinier de la maison. À peine arrivé, Cornelius va changer de tenue et se rafraîchir. Il invite ses visiteurs à s’asseoir autour de la table. Le repas commence avec l’échange de quelques banalités sur le déroulement de la journée. Cornelius explique à sa sœur les tâches qui incombent chaque jour à un centurion romain en charge de la garde du palais du gouverneur. Il ne cache pas ses soucis ; les relations très tendues entre Juifs et Romains à cause de groupes d’extrémistes juifs qui exacerbent la tension comme s’ils n’avaient qu’un désir : provoquer une nouvelle guerre. Cette perspective le rend soucieux. Il ajoute :

Tu m’as connu, Lucius, sous un jour plus guerrier, à l’époque où tu venais rencontrer Flavia, à la maison. J’étais un fringant officier, fraîchement sorti de l’école militaire et prêt à en découdre avec le premier ennemi de Rome. C’était, il y a longtemps… Depuis lors, avec Aurelia nous sommes arrivés dans cette région du monde où nous risquons bien de terminer notre vie. Dans trois ans commencera ma retraite. Le pays me plaît, malgré le climat de violence qui règne à l’intérieur. Césarée est considérée, par les Juifs, comme une ville romaine. On n’y risque pas grand-chose. Les notables de Jérusalem ne viennent au palais du gouverneur que pour des questions particulières ou administratives. Fort heureusement, je n’ai plus à accomplir de missions de terrain pour régler des litiges ou rétablir l’ordre. Je me contente d’assurer la sécurité et le bon fonctionnement du palais du gouverneur. Mes rêves de victoires militaires ont disparu. L’âge et la fatigue m’ont assagi. Et le temps passé ici m’a conduit à réfléchir beaucoup et à changer ma vision du monde. La guerre est une stupidité qui n’aboutit généralement qu’à des jeux de massacre… Et dire que je me suis engagé dans l’armée en rêvant de pouvoir m’illustrer par des faits de guerre…

Cornelius se tait et regarde ses hôtes. Il est devenu pensif tout-à-coup. Finalement, retrouvant le sourire, il prend la cruche de vin, remplit les verres et invite chacun à trinquer. Lucius l’observe depuis un moment. Il est surpris par l’homme qu’il a devant lui. Son visage a changé. Il n’y a plus trace d’arrogance en lui. L’officier, toujours sûr de lui, a disparu. Ce doit être le résultat de cette longue réflexion personnelle dont il vient de parler…

C’est vrai, Cornelius ! En t’écoutant, je découvre un homme que je ne connaissais pas. La distance et les années nous font tous évoluer ; mais je dois dire qu’à l’époque de nos jeunes années, tu n’aurais jamais pris une telle position sur la guerre. Il me semble en plus que vous avez, toi et Aurelia, complètement rompu avec votre ancien style de vie. Nous en parlions tout à l’heure avec Flavia. Nos divinités tutélaires ont disparu de votre jardin. Vos serviteurs sont traités comme les membres d’une même famille ; l’homme, qui décidait et commandait tout, a disparu. Vous vivez, toi et Aurelia en pleine harmonie. Je t’avoue que tout cela nous a surpris. Et puis, il y a ce gros volume dont j’ai lu quelques pages… Il ne ressemble guère aux livres de la littérature gréco-romaine que je connais bien. En venant cueillir ses fleurs, Aurelia a surpris la discussion que nous avions, Flavia et moi ; elle nous a promis que nous en saurions plus, ce soir. Flavia est également intriguée par le signe du poisson suspendu au cou de ta femme et formant la mosaïque au-dessus du meuble où j’ai trouvé le livre. Que s’est-il donc passé ici ?

Roland Bugnon est membre de la congrégation du Saint-Esprit. Après 17 ans de ministère pastoral et d’enseignement en Centrafrique, il est revenu dans son pays, la Suisse. D’abord à Bâle, puis à Fribourg, il s’est  investi dans des tâches d’animation spirituelle et biblique. 

Caravane

La lampe de ma vie

Les événements de la vie nous confrontent et suscitent des questions. Si la Bible n’a pas la réponse à toutes nos questions, telle une lampe, elle éclaire nos existences et nous offre un certain nombre de repères.