Jésus guérissant un sourd-muet. Bartholomeus Breenbergh, 1635.

Une grande liberté

Benoît LambertBenoît Lambert | 23e dimanche du temps Ordinaire (B) – 9 septembre 2018

Guérison d’un sourd-muet : Marc 7, 31-37
Les lectures : Isaïe 35, 4-7; Psaume 145 (146) ; Jacques 2, 1-5
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Quand Jésus a débuté son ministère terrestre, les prophéties d’Isaïe contenues dans la première lecture se sont réalisées. Il a permis à des boiteux de bondir comme des cerfs. Il a rendu la vue à des aveugles. Comme le dit le livre d'Isaïe, Dieu incarné dans la personne de Jésus est venu et il a sauvé son peuple.

Un miracle individuel

 Isaïe affirme aussi que Dieu ouvrira les oreilles d'un sourd. Dans l'Évangile, un malentendant retrouve l'ouïe quand le Sauveur lui souffle : « Ouvre-toi. » Cet homme retrouve aussi la faculté de parler correctement. Malgré l'interdiction du Seigneur, le miraculé criera sa joie. Cette personne vivra désormais une existence transformée qui comportera plus de possibilités pour s'épanouir.

Jésus n'est jamais resté prisonnier de procédures intouchables dans l'exécution de ses miracles. Parfois, il agira sans utiliser de matière naturelle. Les mots suffiront à l'accomplissement d'actes surnaturels (Jn 2,1-11 ; Mc 1,23-28). Mais Jésus utilisera aussi, comme dans l'épisode proclamé durant cette liturgie, une matière naturelle : un peu de salive.

À son habitude, Jésus se fait proche de la personne handicapée et lui impose les mains. Ce geste n'est pas innocent. Le Maître sait qu'il remonte loin dans l'histoire d'Israël. Ce geste a servi dans l'Ancien Testament à bénir une personne ou l’assemblée du peuple (Gn 48,14-20 ; Lv 9,22) et à consacrer (Ex 29,10.15 ; Nb 8,10-14). Un pouvoir divin se transmet par les mains des envoyés de Dieu (Nb 27,18-23). En imposant les mains, Jésus communique la puissance du Dieu Vivant dans le corps de cet individu démuni. Et cette puissance redonne aux sens atrophiés du miraculé leur pleine fonctionnalité.

Les sacrements

Jésus a touché les oreilles du sourd et il a imprégné sa langue de salive. Ailleurs, il a aussi appliqué de la boue sur les yeux d’un aveugle. L’œuvre du salut et de sanctification du peuple de Dieu se poursuit dans l’Église par les sacrements, conférés par les ministres ordonnés qui agissent au nom du Christ.

L'eau du baptême, le pain eucharistique, l'huile de l'onction des malades qu'ils répandront sont des exemples de cette manière de procéder à des matières naturelles, liées à la parole pour sanctifier les humains dans diverses réalités de leur vie. Le point de rencontre le plus important entre notre univers et le Royaume fut le corps du Christ lui-même. Ce corps qui a été violenté par l'humanité et ressuscité par le Père est l'instrument de notre salut. L'Eucharistie rappelle ce fait.

L’environnement du miracle

 Il n'existe pas de scénario défini pour les miracles du Christ. Souvent l'individu malade supplie pour sa guérison. Dans ce récit, comme dans d'autres (Mc 2, 12), un groupe demande la faveur pour une autre personne. La foi constitue la donnée commune dans ces deux cheminements : la foi du malade ou la foi du groupe.

La personne souffrante, secourue par le Christ, retrouve souvent ses facultés à l'écart de la foule. La discrétion enveloppe fréquemment l'accomplissement d'actes miraculeux (Mc 5,37-40). Dieu sait qu'une foi basée sur le spectaculaire risque d'être superficielle, éphémère. Comme la graine de la parabole du semeur plantée dans peu de terre, elle risque de disparaître à la moindre difficulté. Jésus ne guérit pas pour épater la galerie. Il soigne plutôt parce qu'il aime les gens et qu'il veut soulager leur misère. En poussant un soupir dans le récit, il gémit de compassion devant la souffrance humaine. L'Église doit suivre l'exemple de son fondateur et se soucier des négligés. La deuxième lecture (Jc 2,1-5) rappelle l'importance des gens qui ont besoin d'aide comme les pauvres dans les communautés chrétiennes. Jésus va même faire de la charité le critère essentiel qui exprime la fidélité de l'Église à son endroit.

Jésus a regardé vers le ciel en offrant son autonomie au bègue. Le ciel constitue dans beaucoup de religions la demeure de la divinité. Jésus a donc levé les yeux pour signifier l'origine de sa puissance : son Père qui vit là-haut. Jésus a répété ce geste au moment de ramener Lazare à la vie (Jn 11,41-42) et pendant la prière sacerdotale au cours de la Cène (Jn 17,1).

Le secret missionnaire

Plusieurs croyants et croyantes, au fil des siècles, ont trouvé étrange la volonté du Christ de garder le secret sur ses miracles. Plusieurs explications ont été fournies. L'explication la plus plausible serait un souci de respecter la liberté humaine. Le Seigneur ne veut pas imposer la foi par des démonstrations de sa puissance. Il ne désire pas que les miraculés témoignent de leur expérience. Jésus souhaite plutôt des amis qui choisiront de le suivre au plus profond de leur cœur. Et Jésus sait que la meilleure stratégie pour atteindre cet objectif est de le rencontrer et de sentir son affection. Malheureusement, les miraculés vont parler et briser la confidentialité voulue par Jésus. Des foules vont donc aller à sa rencontre en ne voyant en lui qu'un guérisseur au pouvoir efficace. Une telle réputation deviendra un écran à sa véritable identité de Fils de Dieu. Le Seigneur a donc combattu cet obstacle durant son ministère.

Un miracle collectif

À l'époque des premières communautés chrétiennes, les païens ont accueilli l’Évangile du Christ, faisant éclater les frontières de l’annonce aux juifs. Leur conversion préoccupait passablement l'évangéliste Marc. Avec cette clef de lecture, plusieurs ont interprété ce texte d'une manière collective. D'abord, Marc situe l'épisode en territoire païen. Jésus redonne probablement la pleine possession de ses facultés à un homme qui ne fait pas partie d'Israël. Son ordre « Ouvre-toi » s'adresserait au monde non-juif et le sourd symboliserait cet univers. Jésus possède le pouvoir d'ouvrir les oreilles de toute l'humanité à la Bonne Nouvelle. Jésus n'est pas prisonnier des catégories religieuses ou sociales créées par l'être humain.

Après avoir entendu le Maître, les nouveaux convertis ne seront plus bègues. En grec, le mot qui qualifie ce désordre du langage se retrouve seulement dans ce récit et à un autre endroit dans l'Ancien Testament (Is 35,6). Le païen bégaie parce qu'il n'a pas encore entendu la Parole juste et vraie. Il ne peut donc pas parler distinctement. Ressentant le désarroi de notre monde en quête de sens, le Christ gémit en guérissant le sourd-muet. Il y a encore aujourd'hui des gens qui ignorent l'Évangile. Noyés dans un déluge de messages qui proposent de faux chemins menant vers le bonheur, ils ne parviennent pas à détecter la voix du Christ. Mais le Sauveur peut se faire entendre et dépasser le tintamarre. Il peut encore ouvrir les oreilles des sourds qui cherchent un sens à leur vie.

Détenteur d’une maîtrise ès arts (théologie) de l’Université Laval, Benoît Lambert a rédigé des articles et des brochures pour plusieurs revues religieuses (Vie liturgique, Revue Notre-Dame-du-Cap). Il collabore au Feuillet biblique depuis 1995.

Source : Le Feuillet biblique, no 2584. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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