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chronique du 28 mars 2014

 

Marcel Jousse, découvreur du style oral

Au neuvième dimanche du temps ordinaire de l’année A, la liturgie nous propose comme lecture de l’évangile le passage suivant de Matthieu : « Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. » (Mt 7,24) Nous avons vu dans une chronique précédente comment Marcel Jousse propose de rendre cette parole en style oral :

schéma

     Qu’est-ce que Jousse essaie de nous faire saisir? La différence entre parler et écrire. La disposition des mots fait ressortir les ressemblances et les différences qui font de cette phrase non une suite unie de mots comme dans le texte de la liturgie, mais une suite de gestes : de gauche (b, e) à droite (c, f) et vers l’avant et l’arrière (a, d, g). Ce sont les gestes du corps, qui se balance de gauche à droite et de l’avant à l’arrière. Jousse consacra toute sa vie à une entreprise bien spécifique : découvrir les mécanismes qui permettent à un être humain de saisir la réalité qui l’entoure, de former une parole qui la dise, et de transmettre cette parole. Dans ce but, il se mit à l’école de psychologues comme Pierre Janet et Jean-Pierre Rousselot, mais aussi il continua de s’intéresser aux milieux ethniques qui ne connaissent pas l’écriture et où les connaissances se transmettent donc oralement.

     Jousse ne se contenta jamais de généralités. Il s’imposa d’aller au concret, aux gestes, ceux de la main, mais aussi ceux de la gorge et de la langue, tout ce qui permet à la mémoire d’emmagasiner des quantités énormes de connaissances. Jousse comparait ses observations à celles des astronomes. Pendant des milliers d’années, les gardiens de moutons voyaient bien que la lune changeait constamment de position. Ptolémée (au IIe siècle) tenta d’expliquer ces mouvements : la lune, les planètes le soleil tournent autour de la terre. Mais les astres ne se conformaient pas toujours à ses prévisions. À force d’accumuler des données de plus en plus précises sur les mouvements de la lune, des planètes, du soleil, des étoiles, Copernic (au XVe siècle) finit par comprendre que le système imaginé par Ptolémée devait être revu de fond en comble.

     Dans sa thèse de doctorat sur le style oral publiée en 1925 (nous y reviendrons le mois prochain), Jousse proposait le résultat de ses observations et lançait un immense programme de recherche. Il aurait aimé y associer d’autres chercheurs et travailler avec eux à réfuter les critiques comme Loisy, qui remettaient en cause la valeur historique des évangiles. En étudiant de près les traces de style oral, Jousse montrait au contraire que les évangiles permettent de remonter aux paroles mêmes de Jésus. Mais les spécialistes de la bible continuèrent à se concentrer sur les textes écrits et, sauf quelques exceptions, ne s’intéressèrent pas au travail de Jousse. Celui-ci poursuivit seul son travail pendant sa longue carrière de professeur à Paris, à la Sorbonne (1931-1957), à l’École d’anthropologie de Paris (1932-1951) et à l’École des Hautes Études (1933-1945). Il trouva enfin là des gens qui surent mettre à profit ses découvertes, entre autres Gabrielle Desgrées du Loû et Gabrielle Baron. Elles feront le lien entre Jousse et le récitatif biblique.

Gaston Lessard

 

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Honorine Carrel et Marie, mère de Jésus