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chronique du 25 avril 2014

 

Le style oral

Pénétrer dans le monde de Marcel Jousse est un défi. Il explorait un monde qui nous est devenu étranger, celui du geste. Il ne perdait pas de vue son objectif, celui de retrouver la parole vivante de Jésus, mais il s’imposa le détour nécessaire par l’observation des faits. Pendant vingt ans, il recueillit le résultat de recherches susceptibles d’alimenter son projet. En 1925, il publia sa thèse. C’est un étrange objet. Comme il le dit lui-même dans son avant-propos, il rapproche simplement « des textes de spécialistes, mais en se permettant d’y introduire, entre crochets [ ], une terminologie unique, indispensable à la clarté de l’ensemble, sans pourtant trahir la pensée des auteurs ». Ou encore : « Mon “Style oral” n’est qu’un piquetage de la question, une table des matières... Ce sont des formules pour orienter les chercheurs. » (Baron 68)

     Un exemple, emprunté au premier chapitre, « L’Explosion énergétique et la Psycho-physiologie du Geste » : « « Au commencement était le Geste » (D’Udine : A, 86). « En venant au monde, le nouveau-né est muni d’aptitudes motrices... Il est une machine qui produit des mouvements, [qui fait perpétuellement des gestes] » (Ribot : C, 2). « Toute excitation [interne ou externe,] détermine un mouvement » (Féré : A, 75).»

     Est-ce à dire que Jousse ne fait que répéter ce que d’autres ont dit avant lui? Serait-il aujourd’hui accusé de plagiat? Quand parut le volume, intitulé : Études de psychologie linguistique. Le Style oral rythmique et mnémotechnique chez les Verbo-moteurs, son confrère jésuite Gaston Fessard écrivit : « Cette mosaïque de citations n’est qu’un original camouflage pour l’audace d’un novateur » (Études, juillet 1927, p. 146). Entrez dans la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré : les mosaïques qui couvrent la voûte ne sont qu’un assemblage de petites pierres, mais vues d’en bas elles racontent l’histoire de sainte Anne et de saint Joachim.

     Les petites pierres, c’est le détail des gestes : voir est un geste oculaire; entendre est « une [gesticulation] des organes auriculaires... » (Kostyleff : A, 124). Les gestes s’organisent selon un rythme, une cadence. Parler est un geste laryngo-buccal, mais c’est un ensemble de gestes, que l’on apprend en imitant ceux des autres et qui veulent dire quelque chose. Tout un monde prend forme, celui du langage oral, du rôle de la mémoire, de l’imitation, de l’apprentissage. Jousse fait l’inventaire des procédés qui aident la mémoire. Ce sont les expressions toutes faites, les clichés, les formules, les pierres qui vont servir à construire la mosaïque de l’Odyssée, mais aussi celle des récitatifs de Jésus que Jousse introduit dans son chapitre VIII : « Le Geste propositionnel ».

     Dans sa thèse, Jousse démonte le mécanisme par lequel on aboutit au récitatif. Comme un mécanicien qui démonte un moteur pour le remonter. La table des matières donne déjà une idée de sa démarche : le chapitre XI est consacré au style oral rythmique, le chapitre XIV aux compositeurs oraux, et le dernier (XVIII) aux procédés mnémotechniques à l’intérieur d’une récitation. Partant du rythme, de l’alternance des temps forts et des temps faibles, il passe aux ensembles de mots, aux proverbes, à ce qu’il appelle des colliers de perles, des chapelets-compteurs, des récitatifs, pour arriver aux récitations. Dans une culture orale, ces récitations, faciles à apprendre, se transmettent d’une génération à l’autre avec une fidélité stupéfiante.

     Jousse emprunte ses exemples aux cultures orales connues de son temps : afghane, mérina, berbère, malgache, basque, mais son terrain de prédilection, auquel il revient toujours, c’est la langue de Jésus, l’araméen. Son grand projet consiste à retrouver, derrière la traduction grecque écrite, l’araméen parlé dont elle conserve les traces. Car les traductions ne sont que des décalques. Le grec paraît maladroit parce qu’il suit de près l’araméen. Les procédés mnémotechniques se devinent à travers les maladresses du grec.

     Dans son dernier chapitre, Jousse cite plusieurs exemples de récitations, faites de récitatifs. L’un de ces exemples est celui de la maison bâtie sur la pierre. J’en cite un autre, qui n’est pas de Jésus, mais qui éveillera un écho en nous :

Ne regarde pas au vase,
        mais à ce qui est dedans.
Il est des vases nouveaux,
        qui sont remplis de [vin] vieux.
Et des vieux qui n’ont pas même
de [vin] nouveau au dedans.

N.B. Le texte de la thèse de Jousse est accessible sur le site http://classiques.uqac.ca/

Gaston Lessard

 

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Marcel Jousse, découvreur du style oral