Vue aérienne de la forteresse du site archéologique d'Arad (photo : Wikipedia)

Arad, témoin du culte des temps bibliques

Robert DavidRobert David | 19 mars 2018

Arad est une petite ville du Néguev située à quelques kilomètres à l’ouest de la ville moderne du même nom et à une trentaine de kilomètres à l’est de Beersheba. Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler d’Arad avant aujourd’hui? Ce n’est pas une ville très importante dans la littérature biblique. À l’exception de l’épisode de Nb 21 qui raconte que les habitants d’Arad ont empêché les Israélites de pénétrer dans le pays en venant du sud, les autres textes ne font que mentionner la ville (Jos 12,14; Jg 1,16; 4,11). Pourtant, on a trouvé ici quelque chose de fort intéressant et d’inusité.

Arad I, Arad II et la ville fantôme

La ville a une drôle d’histoire. En fait, quand on parle d’Arad, il faudrait presque parler d’Arad I et d’Arad II tellement un long laps de temps sépare les deux occupations.  Même physiquement, les deux Arad diffèrent. Il y a eu le premier Arad de l’époque de l’Ancien Bronze (3100 - 2800) puis 1500 ans d’inoccupation pour finalement voir s’installer une petite forteresse israélite au 11e siècle (Fer I). Ce trou chronologique pose d’ailleurs question quand on tente de faire coïncider les textes bibliques avec les données archéologiques.  Comment en effet les gens d’Arad peuvent-ils empêcher les Israélites de passer (Nb 21) si la ville n’existe pas à l’époque où l’on situe habituellement le personnage Moïse (± 1250) ? Cette question permet de sortir d’une lecture littéraliste du récit de l’Exode.

Sur le terrain, les deux villes occupent des positions complètement séparées. Ceci est normal si l’on tient compte du fait que les deux villes étaient construites pour des motifs différents. La ville de l’Ancien Bronze se voulait une ville « normale », avec son quartier résidentiel et son quartier public, tandis qu’à l’époque du Fer on a seulement besoin d’une forteresse pour garder la frontière méridionale du pays.

Arad de l’Ancien Bronze

La ville de l’Ancien Bronze n’a pas été fouillée au complet, mais ce qui en a été dégagé permet de nous faire une bonne idée de la façon dont vivaient les 3000 personnes qui y résidaient. Une chose attire l’attention de quiconque visite cette ville basse, autant le quartier résidentiel que le quartier administratif : presque toutes les constructions ont adopté le même plan architectural. Les demeures, de même que plusieurs unités administratives, sont composées principalement de deux pièces, plus basses que le niveau de la rue. L’une des pièces, la plus grande, possède un pilier central pour supporter une poutre pour le toit, et des banquettes sont aménagées sur le pourtour des murs. La porte de la maison est systématiquement ouverte dans l’un des murs longs de la maison. Il y a dans cette ville une telle homogénéité que celle-ci est frappante, surtout pour une ville d’une époque aussi reculée.

forteresse de tel Arad

Vue du tel à partir de la ville de l'Ancien Bronze (photo : Robert David)

La forteresse de l’âge de Fer

Voici comment se présente la forteresse israélite d’Arad depuis la ville de l’Ancien Bronze. Elle domine toute la région, offrant une vue imprenable sur 360 degrés. Plus de 1500 ans après que la ville de l’Ancien Bronze ait été abandonnée, les Israélites viennent s’installer à Arad. Leur intention n’était pas d’y ériger une grande ville. Ils voulaient simplement s’assurer de garder le contrôle sur une portion du territoire qui les mettait en contact avec des populations nomades du désert. C’est pourquoi l’essentiel des constructions de l’époque du Fer se trouve dans l’enceinte d’une forteresse passablement modeste si on la compare à la ville de l’Ancien Bronze. À la période du Fer, diverses pièces étaient aménagées à l’intérieur de la forteresse dont des quartiers résidentiels, mais aussi des entrepôts, une citerne et surtout, un sanctuaire israélite. Ce dernier est sans contredit l’une des découvertes les plus intéressantes de toute la citadelle. 

Le Temple d’Arad

Le sanctuaire se compose déjà de trois pièces qui correspondent aux trois divisions que l’on retrouvait dans le temple de Jérusalem. On entrait d’abord dans un grand hall par une porte aménagée dans le côté est du sanctuaire. Dès l’entrée on se trouvait devant l’autel des sacrifices, en plein centre du hall. La deuxième pièce, le saint (debir), était pour sa part constituée d’une salle rectangulaire large avec ouverture, sur le côté est d’un mur long. Le Saint des saints finalement (heikal) se trouvait complètement à l’ouest, accoté sur le mur à casemates, dans une sorte de niche dans laquelle on pouvait installer une représentation de la divinité ou un symbole en indiquant la présence.

sanctualire d'Arad

La reconstitution est celle du sanctuaire du 9e siècle. C’est à ce moment qu’il atteint sa forme la plus complexe avec son réseau de salles attenantes au hall. Nous savons, par la stratigraphie, que la succession des sanctuaires s’est faite au même endroit, depuis le 11e siècle jusqu’au 6e. L’autel des sacrifices, qui se trouve dans le hall, est un cube de 2,5 m pour les côtés et 1,5 m de hauteur. Il était fait de pierres brutes non taillées, comme le prescrit Dt 27,5s :

Tu y édifieras, avec des blocs que le fer n’aura pas martelés, un autel de pierres pour YHWH ton Dieu. C’est avec ces pierres brutes que tu construiras l’autel de YHWH ton Dieu, et c’est sur lui que tu offriras des holocaustes pour YHWH ton Dieu, immoleras des sacrifices de paix, mangeras sur place et te réjouiras en présence de YHWH ton Dieu.

Voici donc l’enceinte la plus sacrée, le Saint des saints, là où siège la divinité, YHWH en l’occurrence pour les Israélites. On voit les marches qu’il fallait d’abord gravir. Les deux petits autels à encens qui reposent sur l’une des marches possédaient encore des restes d’offrandes sur leurs pierres du dessus quand on les a découverts. Il s’agissait d’offrandes végétales. Ça aussi c’est impressionnant de voir ces restes calcinés qui nous viennent de plus de 3000 ans en arrière. Les pierres dressées dans le fond sont un rappel de l’alliance. On sait en effet que le rituel d’alliance stipulait à la fin que l’on dressait des pierres qui servaient de témoins (voir Jos 24,27). Peut-être y avait-il aussi un coffre, symbole de l’arche d’alliance, mais ceci n’est qu’une hypothèse.

ruines du sancturaire

Ruines du sanctuaire (photo : Robert David)

Nous avons donc à Arad un exemple parfait de l’autel qui devait se trouver dans le temple de Salomon à Jérusalem. Le dessus de l’autel était plâtré et une rigole y était aménagée pour disposer du sang des victimes. À la base de cet autel on a retrouvé des bols à encens qui portaient les lettres suivantes : « c » et « q ». Il y a tout lieu de croire que la première appartenait au mot « cohen » - prêtre, et la deuxième à « qodesh » - saint, deux termes qu’il est normal de retrouver dans un lieu de culte.

Dans la salle du saint (debir, voir la photo ci-contre) on se trouvait directement en face du Saint des saints auquel on accédait par une série de trois marches. Dans la niche du Saint des saints on a découvert deux petites stèles (masseboth) ainsi que deux petits autels à encens.

Le sanctuaire d’Arad a dû subir le sort de tous les autres sanctuaires lors de la réforme de Josias, et peut-être même d’Ézéchias. Il sera abandonné au profit du seul temple de Jérusalem, symbole d’unité nationale et de centralisation.

Arad est un témoin absolument privilégié d’une partie du matériel cultuel que l’on a utilisé pendant toute la période de l’Ancien Testament et même, peut-être, du Nouveau Testament. Jamais n’a-t-on été plus près de la réalité cultuelle du grand sanctuaire national.  Vous comprendrez donc l’excitation des fouilleurs qui ont mis au jour ces salles sacrées.

Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

Le débir du temple d’Arad

Le debir du temple d’Arad (photo : Wikipédia)