Le santuaire (photo © HolyLandPhotos.org)

Arad : un temple à Yahvé

Robert DavidGuy Couturier | 16 juin 2006

Quand il est fait mention d’un temple consacré à Yahvé, le Dieu d’Israël, on pense à celui de Jérusalem. Il ne reste absolument rien de cet édifice prestigieux, sauf un fragment du mur d’enceinte qu’Hérode le Grand avait fait construire pour isoler le temple du reste de la ville. Nous ne trouverons jamais rien d’autre, puisque l’empereur Hadrien, en 135 après J.-C., le fit raser jusqu’au rocher qui lui servait de fondation, et qu’un lieu saint musulman fut construit sur son site à la fin du VIIe siècle de notre ère.

Depuis la fin du VIIe siècle avant J.-C., aucun autre temple dédié à Yahvé ne pouvait être construit en dehors de Jérusalem ; le roi Josias (640-609) avait proclamé cette loi nouvelle en s’appuyant sur le Deutéronome (12,2-12) qu’on venait de redécouvrir dans le temple même, lors de travaux de restauration (2 R 22). Avant Josias, toutefois, il était permis de dédier à Yahvé d’autres temples à travers tout le pays. Jusqu’à maintenant les archéologues n’ont découvert qu’un seul de ces temples yahvistes, à Arad, petit fortin judéen au nord-est de Bersabée dont le rôle était de garder la frontière sud-est du royaume contre les invasions édomites et les razzias de nomades.

Tell Arad

Temple yahviste de Tell Arad, niveaux X et XI

Le fortin a été érigé au Xe siècle, sans doute au temps de Salomon, et resta en usage jusqu’à la chute du royaume de Juda, au début du VIe siècle avant J.-C. On peut facilement distinguer six périodes de son histoire. Dans les cinq premières périodes, un petit temple a été bâti à l’angle nord-ouest du fortin. On ne décrira ici que ses deux premières phases (niveaux XI et X : Xe siècle), car il ne changera que très peu par la suite, occupant une superficie de 15 x 20 m environ.

Orienté est-ouest comme celui de Jérusalem, ce petit temple d’Arad est d’abord précédé d’une cour à ciel ouvert (A), qui occupe presque la moitié de la superficie totale. Cette cour renferme un autel des holocaustes (B) situé en son centre, au niveau X ; il sera adossé à un mur, aux périodes subséquentes, quand on y ajouta une nouvelle salle au nord. Un autel mesure exactement 2,50 m de côté (il est donc carré) et 1,50 m de hauteur : ces mesures correspondent aux prescriptions d’Ex 27,1 pour l’autel des holocaustes (5 x 5 x 3 coudées). Il est construit de pierres brutes retenues par de la glaise, ce qui respecte encore une autre prescription d’Ex 20,25 : on ne doit pas utiliser de pierres taillées pour sa fabrication. Sur le dessus de l’autel on a déposé une grande pierre plate, entourée de canaux plâtrés pour faciliter l’écoulement du sang et des graisses de la victime sacrifiée sur elle. Des marches permettent au prêtre de monter sur cet autel pour l’immolation de la victime. Au sud de cette cour, au niveau X, puis au sud et au nord, aux niveaux suivants, deux longues salles (C) servaient au rangement des ustensiles requis pour le culte. Les noms de deux familles sacerdotales connues, Pashhur et Meremot étaient inscrits sur des morceaux de céramique (Esd 2,38.61; Ne 7,41; 12,3). Au fond de la cour, de chaque côté de l’entrée du sanctuaire, les bases de deux colonnes devaient supporter une sorte de baldaquin devant cette porte d’entrée. On les rapproche aussitôt des deux colonnes du temple de Salomon, Yaldn et Boaz, décrites avec minutie en 1 R 7,15-22.

Le sanctuaire ou le saint (E), c’est-à-dire la salle de culte fermée, est à l’ouest de la cour, et de forme rectangulaire (2,7 m x 9 m au niveau XI ; 2,7 m x 10,5 m aux niveaux suivants). Les murs et les banquettes basses qui courent le long d’eux sont soigneusement plâtrés, indiquant le caractère particulier du bâtiment.

Tell Arad

Le saint des saints (Ian Scott / Wikimedia)

Au centre du mur ouest du sanctuaire, une petite salle a été aménagée en saillie (F) ; ses dimensions ne changèrent pas : elle fait 1,30 m de côté, donc de forme carrée ; on sait que le saint des saints (debîr) du temple de Jérusalem était aussi carré (20 x 20 coudées : 1 R 6,20). Trois marches lui donnaient accès : ce saint des saints était donc plus élevé que la salle de culte, ce qui correspond encore aux données du temple de Jérusalem. Le mobilier cultuel de cette petite salle mérite toute notre attention.

Tout d’abord, sur la deuxième marche d’escalier et de chaque côté de l’entrée, deux petits autels de pierre avaient été renversés. L’un d’eux avait 51 cm de hauteur, et l’autre, 40 cm. Ils étaient taillés dans du calcaire tendre, et on avait bien poli toutes les faces. Des cavités rondes avaient été creusées à leur sommet ; et quelle surprise de recueillir dans ces cavités des restes de matières organiques brûlées, sans doute les vestiges des derniers sacrifices offerts dans ce lieu très saint.

De plus, les fouilleurs ont été étonnés de découvrir au fond de cette petite salle une grosse pierre de 1 m de hauteur, dont une face avait été aplanie et peinte en rouge! Dans le mur du fond de cette salle, deux autels de pierres semblables, mais plus petites, avaient été soigneusement renfermées. Il n’était pas difficile de les rapprocher de ces fameuses stèles dressées dans les sanctuaires cananéens, comme symboles du dieu Baal. Mais quel rôle peuvent bien jouer ces stèles dans un sanctuaire de Yahvé!

Il ne fait pas de doute que nous sommes en présence d’un temple dédié à Yahvé. En effet, il fait partie intégrante d’un fortin judéen dès les débuts de son histoire. Aussi nous sommes invités à comparer plusieurs de ses éléments à certains traits du temple de Salomon, bien que leurs plans d’ensemble divergent parfois sensiblement. Surtout, à Jérusalem, il ne semble pas que des stèles aient été dressées en l’honneur de Yahvé. Celles trouvées à Arad pourraient-elles faire exception? Rien ne s’y oppose, en soi , mais elles pourraient tout autant évoquer le grand rival de Yahvé dans la foi populaire de Juda, Baal, le dieu de la fertilité. Le prophète Osée, au VIIIe siècle, parle avec clarté de l’étendue de cette confusion entre Yahvé, seul Dieu légitime en Israël, et Baal. Si le niveau VI du fortin, datant de la fin du VIIe siècle et attribué à Josias, est marqué par la disparition du temple, nous serions peut-être en présence d’un signe non équivoque de la réforme religieuse de ce grand roi, vers 620 avant J.-C. : seul le temple de Jérusalem est légitime, et toute trace de paganisme en est bannie.

Ne pouvons-nous pas expliquer ainsi ce fait surprenant qu’un nouveau rempart est construit autour du fortin, et que son mur ouest recouvre en entier le saint des saints et une bonne moitié du saint! On a donc voulu l’effacer de ce bâtiment de la fin du royaume de Juda ; mais il a été du même coup conservé pour les historiens et les archéologues d’aujourd'hui!

Orientaliste et exégète de l’Ancien Testament, Guy Couturier (1929-2017) était professeur émérite de l’Université de Montréal.

Source : Parabole xiii/3 (1990).

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.