Diptyque de l’école du moine Fere Seyon, fin du xve siècle. Walters Arts Museum (Wikipedia).

2. Les icônes éthiopiennes

Luc CastonguayLuc Castonguay | 27 décembre 2021

« Chaque communauté, mais aussi chaque personne a besoin de se raconter à elle-même son histoire pour savoir qui elle est, d’où elle vient, où elle se trouve et vers quelle destination elle se dirige. » Le drame que représente l’icône ne cherche pas à être complet ; « il vit de sa concentration sur l’essentiel et par conséquent, comme nous l’ont démontré les classiques [les icônes], de la réduction du temps et de l’espace du déroulement [1]. » C’est pourquoi nous disons que les icônes sont intemporelles et non-spatiales.

Aussi nous avons vu dans l’article précédent que la tradition byzantine est considérée comme la mère nourricière de l’iconographie et que dans son milieu d’origine elle a su être conservée très près de son état premier. Mais cette mère a porté des fruits à travers le temps qui se sont établis dans différents milieux, différentes Églises chrétiennes. Ceux-ci ont dû s’adapter aux croyances, aux coutumes de leur époque et du lieu d’établissement tout en conservant un certain bagage génétique comme nous le verrons dans cet article qui présente sommairement la tradition iconographique éthiopienne.

Disons pour se situer dans l’histoire que, selon des chercheurs, la christianisation de l’Éthiopie, pays de l’Afrique de l’Est, daterait du début du IVe siècle. D’aucuns avancent que, dans certains manuscrits du VIIe siècle, des marchands musulmans parlent de la peinture d'icône éthiopienne, mais la réalité est que les plus anciennes préservées datent seulement du XVe siècle. Des politiques religieuses aux orientations théologiques et dogmatiques de certains souverains éthiopiens de cette époque ont favorisé le mécénat artistique et la production d’icônes mariales, ce qui eut pour effet de promouvoir l’art des icônes à travers le pays.  

Ces images éthiopiennes étaient peintes à la détrempe (un liant parfois à l’œuf ou parfois à la colle de peau de bœuf) sur des planches de bois creusées, pour former un cadre en relief, qui étaient recouvertes de gypse (lefkas). Les iconographes privilégiaient l’utilisation de certains matériaux locaux, comme différentes espèces de bois et certains pigments qu’ils pouvaient retrouver plus facilement près d’eux. Ceci prouve que leur technique utilisée et leurs étapes pour la préparation du support étaient jusqu’ici pratiquement les mêmes que celles de la tradition byzantine ancienne.

Il faut par contre noter que « pour le christianisme éthiopien, l’image n’a pas le même statut qu’elle a dans le monde byzantin : elle n’est pas l’objet d’un culte liturgique, mais seulement d’une dévotion privée […] (c’est pour cela que certains refusent à ces images le nom d’icônes) [2] ».

archanges

Des archanges encadrent la Vierge et l’Enfant

L’icône que nous avons choisie pour représenter la tradition éthiopienne, La Vierge et l’Enfant, a été écrite par le moine Fere Seyon. Ce diptyque date de la fin du XVe siècle. Sur la planche de gauche trône la Vierge Marie en premier plan avec l’Enfant Jésus dans les bras. De chaque côté d’elle deux archanges, Michel et Gabriel, aux ailes bariolées de couleurs vives et tenant une longue épée. Ils semblent être les gardiens de la cour céleste. Cette icône rappelle le thème de la Nativité de Jésus.

apôtres

Les apôtres de la première rangée

De gauche à droite, sur la planche de droite, sont représentés les apôtres. Première rangée : Pierre, Paul, Jacques, Jean, Barthélemy ; deuxième rangée : André, Philippe, Thaddée, Nathanaël, Thomas ; troisième rangée : Jacques le fils d’Alphée, Matthieu, Mathias et le cavalier serait un saint local éthiopien nommé Théodore. Il est à remarquer que les nimbes dorés de tous les personnages sont très petits.

Nous analyserons cette icône en mettant en exergue quelques similitudes qui la rapprochent de la tradition byzantine puis des dissimilitudes qui l’en éloigne.

Notons d’abord les rapprochements. Nous avons déjà vu que la technique picturale et la préparation des planches sont à peu de choses près les mêmes. De plus des chercheurs ont décelé sur ces icônes une couche de vernis similaire à l’olifat, vernis ancien traditionnel qui protégeait les icônes byzantines. Ils mentionnent aussi dans leurs études que les icônes éthiopiennes sont très rarement signées sauf sur quelques exceptions ; autre point de similitude entre les deux traditions. Même si dans celles-ci les proportions sont exagérées, chez les éthiopiennes les visages sont excessivement démesurés (nous ferons le même constat chez les icônes coptes). Les pigments sont les mêmes quoique la palette est plus limitée : orpiment, blanc de plomb, terre verte, des rouges, des bleus et des terres. En Éthiopie, comme en Russie ou en Grèce, certains pigments sont propres à leurs régions. Dans les deux traditions, l’iconographie a une ascendance théologique et les thèmes sont pratiquement les mêmes. Les deux portent aussi une dévotion particulière à la Mère de Dieu.

Examinons maintenant les différenciations. Sur les icônes éthiopiennes, il n’y a aucune recherche de lumière pourtant si importante et toujours présente dans les icônes byzantines. Les couleurs des vêtements de Marie sont à l’inverse de celles de la tradition byzantine : sa robe est ici en rouge et son manteau en bleu. De plus dans les icônes les plus anciennes, les étoiles symbolisant sa virginité perpétuelle sont inexistantes, mais les iconographes éthiopiens les ajouteront plus tard. La forme des visages semble inspirée des modèles musulmans et les cheveux sont dessinés de façon primaire et posés (peints) sur les têtes comme des calottes. Les yeux sont grands, blancs et en forme d’amande. Toutes les lignes du visage, les pupilles, les sourcils ne sont soulignés que par de simples lignes noires. Les décors et l’architecture des icônes éthiopiennes ont des formes géométriques et sont peintes de couleurs vives et contrastantes. Les ailes des anges sur l’icône de la Vierge et l’Enfant en sont un bel exemple. Les anges sont représentés dans presque toutes les icônes. Il faut aussi y observer l’absence de perspective. Une autre grande divergence est le fait que l’icône est non baptisée : aucune inscription, ni celui de la représentation globale ni les noms de Marie et Jésus (parfois en abrégé mais toujours obligatoires chez les Byzantins).

Pour conclure, on pourrait qualifier les icônes éthiopiennes de naïves par leur simplicité, leurs couleurs éclatantes, leurs têtes démesurées et leurs visages aux yeux et aux formes stylisés. Mais comme les byzantines, elles soutiennent le symbolisme théologique de leur croyance [3]. Elles invitent à la méditation et supportent la prière des croyants.

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] François Vouga et Carmen Burkhalter, L’évangile d’une femme, Une relecture de l’évangile de Marc, Montréal. Novalis, 2021, p. 46.
[2] Atelier Saint Serge de Radonège, Icônes éthiopiennes.
[3] Je dois noter deux autres sources de références qui ont servi à la rédaction de cet article : Jules Roy, Notes d’archéographie et d’iconographie éthiopienne ; Claire Bosc-Tiessé et Sigrid Mirabaud, Une archéologie des icônes éthiopiennes, Images Re-vues, histoire, anthropologie et théorie de l’art, 13, 2016.

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