La Résurrection. Icône sur verre du Maramures (Roumanie) écrite par Georgeta-Maria Iuga, 30 cm de haut, vers 2005. Collection particulière (photos © John Pole)

5. Les icônes roumaines sur verre

Luc CastonguayLuc Castonguay | 27 juin 2022

Nous en sommes au dernier article concernant différentes traditions iconographiques. Celui-ci pose un regard sur une tradition un peu différente des autres, car nous étudierons les icônes roumaines qui sont peintes sur verre.

« Les icônes sur verre de Transylvanie ont connu un sort assez curieux : dédaignées par les gens de la ville, elles ont longtemps été chères aux paysans ; puis, dédaignées aux cours des dernières décennies par les paysans, elles jouissent maintenant de la faveur des intellectuels et des artistes de la ville [1]. »

Cette tradition est née en 1699 dans le village de Nicula, situé au nord de la Transylvanie, où une icône de la Vierge sur bois se mit mystérieusement à pleurer pendant plusieurs jours. La nouvelle se répandit dans les régions avoisinantes et des centaines de pèlerins accoururent au village. Beaucoup d’entre eux voulaient rapporter de leur pèlerinage un souvenir et les villageois, profitant de cette manne, se mirent à peindre sur verre des reproductions de l’icône miraculeuse pour les revendre. L’industrie de fabrication du verre étant développée en Transylvanie du Nord, cette matière première pouvait facilement se trouver et des rebus, ou rognures, devaient être disponibles pour les paysans moins fortunés [2]. Dans un premier temps, ces icônes se sont retrouvées dans presque tous les intérieurs paysans et les églises de la région pour ensuite se diffuser très vite dans toute la Roumanie.

Bien entendu nous sommes ici entre la légende et l’histoire où le vrai et le faux se confondent souvent. Des historiens affirment que la tradition de peindre sur verre existait déjà en Italie au XIVe siècle bien avant le miracle de Nicula. Cet art populaire que nous pourrions qualifier d’ethnographique connut peu de succès à l’extérieur de la Roumanie jusqu’au milieu du XXe siècle où il fut reconnu mondialement pour ses pleines valeurs artistiques. Aujourd’hui en plus de conserver leurs authentiques portées premières qui sont la liturgie et les dévotions religieuses, elles sont en plus des objets d’ornement et/ou de collection d’art de grande valeur.

Selon la tradition, les images pieuses étaient, comme elles le sont encore aujourd’hui, copiées à l’encre de Chine sous des morceaux de vitre, ensuite peintes à la détrempe à l’œuf (la tempera) faite de pigments naturels. Monica Chiorpec précise que « les matériaux utilisés étaient des morceaux de vitre brûlés dans des fours traditionnels. En raison de la température instable, en résultaient de très belles superficies vallonnées qui, à la lumière des bougies, produisaient des effets inédits : on avait l'impression que les saints de ces icônes bougeaient [3] . »

L’Église roumaine est rattachée depuis longtemps à l’orthodoxie orientale où l’icône est partie entière de sa théologie et de sa liturgie. Mais autant l’écriture des icônes byzantines traditionnelles est réservée à des initiés, vu sa technique et sa théologie bien encastrées dans des règles (les canons), autant les icônes sur verre roumaines diffèrent sur ces deux points par leur créativité. De plus, contrairement aux icônes byzantines qui ne doivent jamais être encadrées, puisqu’elles sont présence réelle selon la théologie orthodoxe, beaucoup plus qu’un simple objet, celles sur verre se doivent de l’être pour protéger la vitre.  Elles partagent cependant les mêmes matériaux, à part le support qui pour les unes sont le bois et pour les autres la vitre : elles sont toutes peintes à la détrempe à l’œuf, et dorées à la feuille d’or. Elles ont aussi en commun leur absence de perspective et d’ombres.

En ce qui regarde la technique, le travail se fait au miroir c’est-à-dire peint sur l’envers de la vitre, cela permet de protéger le travail sans avoir besoin de vernir l’œuvre d’où ce qualificatif qui leur est souvent donné d’icône sous verre au lieu de sur verre. L’écriture des icônes sur verre se fait donc à l’inverse de celle des icônes sur bois ; les derniers détails peints sur l’icône de bois (enjolivures, rehauts ou éclaircissements) sont peints en premier sur l’icône de verre, tandis que la dorure, qui se fait en premier sur les icônes sur bois, est appliquée en dernier sur celles sur verre. Une autre différence anodine mais assez cocasse peut être notée : celles sur verre sont traditionnellement peintes avec des pinceaux de poils de queue de chat tandis que celles sur bois sont peintes avec des pinceaux de poils de queue d’écureuil.

Nous avons choisi pour illustrer la tradition des icônes roumaines une œuvre contemporaine de l’iconographe roumaine Georgeta Iuga : La Résurrection de Jésus. Cet événement est marquant pour la chrétienté car, par sa mort Jésus a assumé son humanité et par sa résurrection il a affirmé sa divinité.

Et avant de commenter la lecture de l’icône, je tiens à remercier la journaliste Marie-Gabrielle Leblanc de nous avoir permis de reprendre une image d’un article paru en décembre 2017 sur le site France catholique. Étant moi-même iconographe, j’apprécie particulièrement ce geste qui reflète parfaitement l’esprit et le souci du partage et d’humilité si chère aux iconographes qui d’ailleurs ne signent jamais leurs œuvres.

âne et ibis

Nous sommes ici dans une mise en scène sur trois registres. Au premier plan, nous pouvons identifier les myrophores qui se rendent au tombeau, les trois Marie aux auréoles dorées : Marie Jacobé (femme de Clopas), Marie Salomé (femme de Zébédée) et Marie de Magdala. Devant elles, trois soldats placés pour garder le tombeau qui debout, qui renversé. Celui de devant paraît plutôt sur la défensive avec son sabre levé, tandis que les deux autres semblent dormir.

Au deuxième niveau est peint un ange assis sur le tombeau de Jésus. Notons ici que traditionnellement, dans les icônes en Orient, la tombe reste habituellement close [4]. Elle qui est habituellement peinte dans les teintes de gris ou d’ocre, la couleur de la pierre, est ici représentée dans des couleurs très fortes : rouge, vert, jaune. À propos des couleurs, Marie-G. Leblanc explique dans son article que « le tracé faussement naïf, les décors floraux, la juxtaposition des couleurs complémentaires – rouge et vert, rouge et bleu, orange et bleu – sont des constantes. Les teintes sont gaies et éclatantes. Le rouge symbolise la Foi, le jaune la lumière, le bleu le ciel, le vert la fertilité, le noir la douleur [5]. » D’ailleurs l’ange, créature céleste, porte une robe bleue. Son nimbe et ses ailes sont dorés.

Au troisième niveau, le Christ dans toute sa gloire est entouré d’une mandorle formée d’un amoncellement de nuages. « Le thème de la Résurrection contient souvent des éléments d’origine occidentale, tel que l’étendard – symbole de la victoire – que tient Jésus dans la main gauche […] la main [droite] levée dans un geste de bénédiction [6] ». Une autre dissimilitude : chez les byzantins le Christ ressuscité est toujours habillé de blanc éclatant symbolisant sa transfiguration, alors qu’ici on lui a fait porter un pagne de couleur vert foncé. Son manteau rouge, qui est ici plus un accessoire qu’un vêtement, évoque le pourpre royal.

Pour finir, notons quelques généralités qui se retrouvent dans presque toutes les icônes sous verre et qui marquent la singularité de cette tradition. L’anatomie des personnages est stylisée. Le contour des personnages et des autres éléments représentés sont peints de traits noirs. La composition souvent fantaisiste est toujours expressive et suggestive. On y retrouve souvent aussi la présence de fleurs ou d’autres éléments purement décoratifs. Enfin disons que même si les couleurs sont vives, elles ne sont jamais criardes. Il en reste que l’iconographie sur verre était et est encore un art religieux populaire.

Un grand merci à tous ceux et celles qui m’ont lu dans cette série d’articles sur les icônes, espérant vous avoir intéressés à ces images qui sont hors du temps et de l’espace dans leurs différentes traditions.

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] (s.a.) « Icônes sur verre roumaines ».
[2] Cornel Irimie et Marcella Focssa, Icône sur verre de Roumanie, Paris, Fernand Hazan, 1969.
[3] Monica Chiorpec, « Icône sur verre ».
[4] Marie-Gabrielle Leblanc, « Offrez des icônes roumaines sur verre ce Noël ».
[5] C. Irimie et M. Focssa, Icône sur verre…, Paris, p. 19.

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