Le pape François (photo © Paul Haring / CNS)

Le trésor biblique, inestimable et pourtant méconnu

Jean-Claude RavetJean-Claude Ravet | 12 septembre 2022

La veille de l’arrivée du pape François au Québec (alors en Alberta, dans le cadre de sa visite au Canada pour demander pardon aux Autochtones pour la participation de l’Église au projet orchestré par l’État canadien de « tuer l’indien dans l’enfant »), un reportage aux nouvelles de Radio-Canada faisait état du déclin rapide de la pratique religieuse chez les catholiques, au Québec. La journaliste faisait preuve d’une objectivité digne d’une entomologiste faisant état de la disparition prochaine d’une espèce, à la seule différence que nous avions droit ici à la protestation de quelques spécimens. On y entendait un théologien nous avertir qu’il serait présomptueux de prédire sur cette base la disparition prochaine de la foi au Québec, même si ce passage à vide dans l’Église québécoise risquait d’être long. Un catholique fier de l’être nous témoignait aussi de son bonheur de croire même en petit nombre, parce que la morale sexuelle de l’Église ne lui faisait pas peur. N’attendait-il pas bientôt avec sa femme son neuvième enfant? Plus gravement, une victime d’un prêtre pédophile, après que la journaliste lui ait demandé s’il avait toujours la foi, lui rétorquait, comme allant de soi, qu’évidemment non.

Mais qu’est-ce que la foi, le fait de croire? Le reportage ne s’y penchait pas, sauf peut-être dans le cas du charmant papa qui aime avoir beaucoup d’enfants, où le reportage laissait entendre que cela consistait à se conformer à la morale sexuelle catholique, confortant ainsi l’image ou plutôt le cliché que beaucoup ont de la religion. Dieu, en tout cas, n’y était jamais nommé. Et pourtant il aurait été instructif, par exemple, de creuser le rapport entre cette souffrance de la victime d’agression sexuelle et la perte de la foi, présentée comme une évidence. Est-ce parce que les prêtres tenaient lieu de Dieu? Dans un reportage précédent, qui portait directement sur le drame des pensionnats autochtones, on apprenait pourtant qu’une victime avait trouvé le réconfort dans la foi, et la lecture de la Bible, qu’on voyait abondamment soulignée. L’évidence n’était donc pas si claire.

Mais est-il encore possible de réfléchir intelligemment sur la foi et sur Dieu dans l’espace médiatique québécois? On peut en douter tant est grande la popularité dont jouit la posture du gouvernement actuel, qui vise à confiner la croyance religieuse dans le domaine strictement privé.

Qu’est-ce qui est vivant dans la foi? Qu’est-ce qui fait qu’elle anime, vivifie, apaise? Qu’est-ce qu’il y a en elle qui permet de se tenir debout dans la souffrance, la misère et l’oppression? De lutter contre elles? D’aimer malgré la haine? Qu’est-ce qui pousse des gens à servir Dieu en ces temps où on se sert plutôt de tout? À prier alors qu’on feint d’ignorer jusqu’au mot intériorité dans les médias? Qu’est-ce Dieu, tout simplement? Toutes ces questions, riches de sens pour la vie humaine et collective, ne peuvent aujourd’hui qu’être muselées dans l’espace médiatique public, sauf à se faire accuser autrement de prosélytisme – c’est du moins ce dont nous convainc le discours sur la laïcité qui domine au Québec, méprisant d’emblée la religion et instituant en quelque sorte son insignifiance, voire sa nuisance dans le domaine public.

J’ai montré à plusieurs reprises dans la revue Relations et dans des articles de cette chronique (voir « Le déconfinement de la foi ») que cette conception trahissait, pervertissait le sens même de la laïcité et qu’elle était intenable pour un chrétien. Je n’y reviendrais donc pas, sinon en rappelant que la sécularisation de la société qui a pour vertu d’émanciper le domaine politique du « pouvoir » religieux, en accueillant sur un pied d’égalité toute parole, qu’elle soit de croyants ou de non-croyants, et du même coup, d’émanciper la religion elle-même du pouvoir, cette sécularisation est devenue malheureusement au Québec le prétexte à jeter le voile sur toute expérience humaine, religieuse, qui fait l’épreuve de Dieu, en la jugeant obsolète, voire inhumaine.

Des perles à extirper des ruines

Une société qui se plie à une telle injonction ne peut que s’appauvrir, car elle ferme les yeux sur tout un pan de l’existence, qui ne peut que la concerner en tant que collectivité. Ce faisant, elle en vient, d’une manière générale, à évacuer ou taire toutes questions de sens de peur d’ouvrir par-là la porte aux questionnements sur Dieu et la foi, qui en sont des expressions possibles. Ce qu’on étouffe ainsi, c’est le sens même de l’existence – qui, a un moment ou un autre, peut être taraudée par la présence ou l’absence, l’accueil ou la négation de Dieu, ou encore par la souffrance et la misère qui gangrènent la chair et l’âme, et qui sont, dans l’Incarnation, la matière même de la foi en Dieu : « Ce que vous avez fait à l’un des plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40)

Pour revenir à notre journaliste du début qui faisait état de la fermeture des églises, il ne lui venait même pas à l’esprit que notre société, qu’elle le veuille ou non, est l’héritière de siècles de dialogue avec la Bible, l’Église, le Dieu de l’Évangile, et ce que ces lieux de culte à ce jour désertés symbolisent. Certes notre société n’est pas tenue d’en être légataire, d’être garant de ses trop nombreuses dettes, et encore moins d’adhérer à la foi. Mais peut-elle sans y perdre beaucoup bouder les richesses que les religions recèlent? Je crains au contraire qu’il lui faille en payer un lourd tribut. On croyait en effet en être quitte. Enfin libre de ces vieilleries sans valeur. Prêt à prendre enfin son envol définitif vers les vraies richesses sonnantes et trébuchantes. Mais les illusions du progrès nous ramènent violemment sur terre. Et nous voilà nous débattant, sans horizon, dans la gadoue. Or, bien des ressources que nous avions décidé de nous délester pourraient bien s’avérer d’un secours certain pour affronter la tourmente actuelle. Ou du moins se révéler d’une valeur insoupçonnée dans ce combat vital.

Nous pourrions prendre conscience, entre autres, que les racines du mal sont avant tout en nous, indéracinables. Et que prétendre s’en défaire complètement conduit à la barbarie. Que les institutions non pas tant fonction de nous en débarrasser mais de nous permettre de les contenir le plus possible pour permettre au bien de croître d’autant. Cette vérité chrétienne, que la Bible n’a de cesse de visiter de mille manières, nous pouvons l’extirper des ruines de la société dite chrétienne, comme un trésor tout neuf, apte à nous armer contre la démesure en cours, qui désertifie le monde en prétendant en devenir maître.

Il en est de même de la plupart des perles de la Bible, et de l’Évangile en particulier. Le fruit inestimable de la sécularisation est de nous avoir débarrasser des scories qui les défiguraient. Celles-ci n’étaient que les artifices dont les puissants et les riches – sur lesquels l’Église se modelait et ladite chrétienté se fondait – les avaient drapées pour les rendre conformes à leurs valeurs et à leurs intérêts.

Dans les prochains articles, je me propose de visiter quelques-unes de ces « perles » bibliques rendues méconnaissables, à même de nous fournir à souhait de quoi résister à la désertification du monde en cours et ensemencer la terre de justice et de paix. En premier lieu, celle qui a pour nom pauvreté

Chercheur associé au Centre justice et foi, Jean-Claude Ravet a été rédacteur en chef de la revue Relations de 2005 à 2019.

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.